Quoi de commun entre les théoriciens du genre, les Femen et l’ABCD de l’égalité ? La hantise du désir et de l’altérité sexuée, selon la philosophe.
Parler d’un néopuritanisme pour caractériser notre époque peut surprendre. Le sexe semble partout : le succès phénoménal de la trilogie « Cinquante nuances de Grey », la promotion généralisée des sex toys, les annonces tonitruantes sur la « sexualité décomplexée » des seniors… cela ne doit cependant pas nous égarer. Qu’est-ce que le puritanisme, sinon une hantise de la chair, du désir, du jeu qui s’instaure entre un homme et une femme ? Or tous ces traits se retrouvent dans le féminisme contemporain et chez les zélateurs de la théorie du genre. Ceux-ci répugnent tout autant que les âmes religieuses d’hier et d’aujourd’hui à admettre cette réalité du désir érotique, son ambivalence à laquelle Merleau-Ponty a donné son expression achevée : « L’amour n’est pas seulement du corps puisqu’il vise quelqu’un ; il n’est pas de l’esprit seulement puisqu’il le vise dans son corps. »
A l’instar des puritains d’hier, ceux d’aujourd’hui aspirent à un monde purifié de cet élan qui entraîne l’homme vers la femme et réciproquement. La chair reste coupable et le corps érotisé suspect : le témoignage d’une militante du mouvement Femen est à cet égard édifiant. Cette jeune activiste, Marguerite, nous explique en effet ce que son engagement dans cette association a changé pour elle : « Je ne me considère plus comme un objet de désir. Mes seins ne sont pas obscènes. On ne censure pas le torse des hommes. Nos seins ne sont rien d’autres que des excroissances qui servent au départ à allaiter » (1).
Nous assistons à une tentative de désincarnation du désir : ce n’est pas un corps sexué, nous répète-t-on à l’envi, mais un individu qui éperonne notre désir. Un créateur de mode afro-américain, frais émoulu d’une université où il a suivi un cursus de gender studies, a ainsi forgé un mot : il aime à se définir comme un « sapiosexuel », c’est-à-dire une « personne uniquement attirée par l’intelligence de l’autre, sans égard pour son sexe » (2). La libération sexuelle entrerait dans une phase nouvelle : il s’agirait désormais de se libérer du sexe. Brigade des moeurs. Le corset moral, aujourd’hui, ce ne sont pas les chrétiens et autres esprits prétendument frileux, crispés, bref, réactionnaires, qui en resserrent toujours plus les cordons, ce sont les âmes les plus progressistes. Le parti dévot s’incarne aujourd’hui tout particulièrement dans les mouvements féministes. L’association Osez le féminisme, les Femen, le comité La Barbe se sont érigés en véritables brigades des moeurs, du langage, des images et de notre héritage littéraire et artistique.
Leur certitude d’être les dépositaires du Bien est redoutable. Elle désarme ainsi toute contestation. Les journalistes si prompts à s’alarmer d’un retour à l’ordre moral lorsque le « Tree » de l’artiste américain Paul McCarthy est vandalisé place Vendôme, à Paris, restent quasi muets, se contentant souvent de relayer la simple dépêche AFP, lorsque la censure contre une oeuvre exposée au Mémorial de Caen, « The Kiss », est réclamée par l’association Osez le féminisme.