Le Point

L’opéra dans son jus !

Elitiste ? Pour les vieux et les riches ? Non, comme le prouve « Tous à l’Opéra », parrainé par le chef Philippe Jordan.

- PAR ANDRÉ TUBEUF

Tous à l’Opéra ! Le week-end des 9 et 10 mai, les théâtres ouvrent leur portes gratuiteme­nt, 100 en Europe, 28 rien qu’en France. Pour qui ? Les curieux, tous, sans distinctio­n : ceux qui ne pensaient pas pouvoir jamais y accéder, ceux qui sont encore trop enfants pour déjà pleinement entrer. Objectif : que la porte soit ouverte, le seuil franchi, le premier pas accompli. L’Opéra coûtant à tous (et fort cher), il est naturel que tous puissent savoir où va tant d’argent (leur argent), quelle machinerie, quels types de savoir-faire, quels visages humains sont à l’oeuvre derrière la magie. A quelques défavorisé­s au moins, certains théâtres vont porter leurs spectacles à domicile, ou même à leur chevet. Il existe aussi désormais, c’est heureux, un opéra at home, par voie de TV ou DVD, ou au cinéma, via les spectacles du Met. Mais il faut bien qu’en amont il y ait, en coulisse, des maisons où le travail se conçoit et se fait, où le produit se produit. Si on ouvre tant les portes, c’est qu’il faut mobiliser, intéresser, faire participer le public de demain. Lui montrer le peuple de l’opéra dans son jus, à l’ouvrage. Répondre à la question, qu’on se pose de plus en plus : à quoi bon l’opéra ? Place au son. Entrons voir. Que nous offre-t-on ? A l’Opéra-Comique (qui prépare un opéra de chambre d’après Mizoguchi), un cours pratique de maquillage japonais. A Marseille, une répétition de ballet. A Mulhouse, mieux encore : la barre pour tous. A Bordeaux, une répétition au piano de « Norma », de Bellini. A Paris, une répétition du « Roi Arthus », de Chausson, avec au piano Philippe Jordan, toute jeune quarantain­e, patron musical de la maison. Pour faire bonne mesure (les voix sont comme un jardin, ça se cultive avec des attentions), on verra le lendemain le même Jordan coacher les cracks de son Atelier lyrique dans trois rôles de Mozart.

Cette année, c’est justement Philippe Jordan qui parraine « Tous à l’Opéra ». Signe des temps, signe d’alerte aussi, qu’il faut savoir lire. Certes, il a tout d’une star, le profil, le look, le glamour. Mais, s’il a été préféré à une star du chant, c’est aussi parce qu’il a d’autres cordes à son arc. Il est de toutes les préparatio­ns en amont, travaille avec son orchestre pupitre par pupitre. Mais il n’est pas moins présent et impliqué quand s’établissen­t les budgets, quand se répartit le temps de travail – autre budget, ô combien difficile à gérer quand tant de compétence­s diverses sont en jeu, qui devront s’harmoniser en cette brève magie finale, visuelle et sonore, le spectacle d’opéra. Mais ce qui saute aux yeux fait trop oublier, on ne le dit pas assez, ce qu’on écoute, qui coûte le plus cher : le son et le fini de l’orchestre, la préparatio­n des chanteurs ; et le travail pour fondre tout cela, pour ne faire qu’un avec la mise en scène. Or la tendance est que celle-ci, de plus en plus, confisque le spectacle (de façon parfois géniale), faisant croire qu’avec un chant moins précieux et un orphéon de crincrins ce serait aussi bien. Jordan (prolongé jusqu’en 2021) est un des très rares parmi les jeunes grands chefs à avoir, depuis ses débuts, préféré la fosse d’opéra et son travail invisible à l’estrade où on se montre et brille seul.

A quoi bon l’opéra ? Les contribuab­les n’ont pas la réponse, mais de toute façon les adultes non plus. On devrait plutôt consulter les enfants. C’est quand même eux, le public de demain. Il suffit qu’on les emmène. Qu’on observe leurs yeux, alors. On y lit que leurs oreilles se sont ouvertes. Qui a pensé à faire le compte de ce que leur apportent deux heures d’opéra ? Quelle sollicitat­ion immédiate, totale, de tout ce qui est chez eux sensibilit­é et attention ? Quel appel mobilisate­ur à l’imaginatio­n, à la mémoire aussi ? C’est assez répondre à la question, et la meilleure vérité de l’opéra est là. Un art qui s’adresse à l’ensemble de nos facultés, et arrive parfois à les satisfaire toutes. En fait d’éducation, qui dit mieux ? Ce weekend, donc, partout dans l’Hexagone les portes sont ouvertes, les ateliers aussi et même les coulisses. Allons nous instruire ! Et amenons les enfants !

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A la baguette. Philippe Jordan, directeur musical de l’Opéra national de Paris.

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