Chisme nous empêche de voir
considèrent comme déstabilisées leurs communautés d’appartenance. Des paniques se déclenchent lorsque les communautés imaginées que sont les nations semblent menacées dans leur existence. A l’insécurité des personnes et des biens et à l’insécurité sociale on doit donc ajouter l’insécurité des moeurs.
En quoi cette insécurité se distingue-t-elle de la simple xénophobie ?
Dans les milieux intellectuels à la française, la reconnaissance de la réalité comme de l’importance politique de la question identitaire – ou culturelle – se heurte toujours à de fortes résistances. Certes, on observe des usages politiques xénophobes, voire racistes, des thèmes dits identitaires ou culturels. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans la préface du « Regard éloigné » (1983), Claude Lévi-Strauss nous avait mis en garde en nous invitant à ne pas confondre avec le racisme certaines attitudes ethnocentriques constituant les mécanismes de défense « normaux » de tout groupe culturel doté d’une identité collective : « On doit reconnaître, écrit Lévi-Strauss, que cette diversité [des sociétés humaines] résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi. » Une forme de bêtise intellectualisée, très répandue dans les milieux universitaires et médiatiques, consiste à réduire le besoin d’identité, d’enracinement ou d’appartenance à ses formes pathologiques, à ses expressions perverses ou monstrueuses. Le soupçon et la dénonciation remplacent alors la volonté d’expliquer et de comprendre. Et le terrorisme intellectuel n’est pas loin : des campagnes sont lancées contre ceux qui ne se contentent pas de la vulgate marxisante. Je rejoins à cet égard certaines implications des travaux du géographe social Christophe Guilluy sur la « France périphérique » et de la politologue Catherine Fieschi sur l’« anxiété culturelle », ainsi que ceux du sociologue Hugues Lagrange sur le « déni des cultures » ou du politologue Laurent Bouvet sur l’« insécurité culturelle ». Car elles permettent d’éclairer les modifications du paysage idéologique et politique français. Il faut reconnaître le phénomène, quel que soit le nom qu’on lui donne, l’analyser et s’efforcer de l’expliquer. Si dérangeant soit-il pour les convictions lourdes du gauchisme intellectuel, dont certains représentants se sont spécialisés dans la négation des questions et des réalités qui les choquent…
Comment distinguer la critique (légitime) de l’Etat d’Israël et de ses dirigeants de celle qui dissimule l’antijudaïsme pur et simple ?
Il faut rappeler d’abord que, depuis la fin des années 60, la haine des juifs est principalement portée par l’antisionisme radical ou absolu, mélange d’hostilité systématique à l’égard d’Israël, quelle que soit la politique du gouvernement en place, et de compassion exclusive pour les Palestiniens, quoi qu’ils puissent faire – terrorisme compris. Le propalestinisme inconditionnel, qui est aussi l’un des thèmes mobilisateurs de l’islamisme radical, est désormais le principal vecteur de la haine des juifs dans le monde. Il fournit en même temps les principaux motifs d’agir contre l’Etat d’Israël, réduit à une « entité » criminelle, et contre « le sionisme », figure diabolisée incarnant l’un des grands mythes répulsifs de notre temps. La « cause palestinienne » sert d’alibi à diverses forces qui, soit par intérêt géostratégique, soit en vertu de fortes convictions idéologiques, ont pour objectif la destruction de l’Etat juif.
Il faut distinguer ensuite l’antisionisme radical des formes légitimes de critique de la politique menée par tel ou tel gouvernement israélien. Le piège sémantique tient à l’équivocité du terme « antisionisme », dont les emplois oscillent entre deux significations : d’une part, la critique des orientations politiques des dirigeants israéliens au pouvoir (ce qui n’a rien de judéophobe), d’autre part, une entreprise de diabolisation de l’Etat juif, voué à être éliminé comme tel (ce qui relève de la judéophobie). Cinq traits permettent de définir l’antisionisme radical : 1) le caractère systématique de la critique d’Israël ; 2) la pratique du « deux poids, deux mesures » face à Israël, régulièrement condamné d’une façon unilatérale ; 3) la diabolisation de l’Etat juif, traité comme l’incarnation du mal ; 4) la délégitimation de l’Etat juif, impliquant la négation de son droit à l’existence ; 5) l’appel répété à la destruction d’Israël.
La diabolisation et la criminalisation du peuple juif sont entrées dans une nouvelle phase avec l’antisionisme radical. Les juifs continuent d’être dénoncés comme des « enfants du diable », des conspirateurs et des « meurtriers perpétuels », mais leurs principaux accusateurs ne se recrutent plus dans le monde chrétien ; ils se réclament d’un islam « authentique » ou « pur », ou de la révolution mondiale, ou encore des deux… L’islamisation djihadiste de la « cause palestinienne », moteur de la « nouvelle judéophobie », est au principe d’une nouvelle guerre contre les juifs, désormais sans frontières. Pour justifier la tuerie de l’Hyper Cacher, Amedy Coulibaly a déclaré qu’il voulait « venger ses frères musulmans opprimés », notamment « en Palestine » « La revanche du nationalisme. Néopopulistes et xénophobes à l’assaut de l’Europe » (PUF, 310 p., 19 €) ; « Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judéophobe. Antisionisme, propalestinisme, islamisme » (CNRS Editions, 324 p., 20 €).