Le Point

Vive la déprescrip­tion !

- JÉRÔME VINCENT

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un produit pharmaceut­ique qui sera au centre de cette chronique, mais une nouvelle pratique visant à en consommer moins. A l’instar des vignerons qui refusent d’épandre des insecticid­es dans leurs plants pour leur bien-être et celui de leurs clients, certains médecins cherchent à réduire la longueur des ordonnance­s de leurs patients. Ils font de la « déprescrip­tion ». Ce néologisme, qui désigne « l’action de supprimer un traitement inutile, inappropri­é ou dangereux, ou le fait d’arrêter de façon volontaris­te une prescripti­on », reflète une tendance révolution­naire dans un pays habitué à côtoyer les sommets mondiaux de la consommati­on médicament­euse.

Anne Vega, socio-anthropolo­gue, décrit ainsi les « déprescrip­teurs » : « Leurs motivation­s sont centrées sur la santé des population­s et la qualité des soins, de type altruiste et vocationne­l. (…) Ils médicalise­nt moins les problèmes sociaux et bénins. (…) Ils ont pris leurs distances par rapport aux stratégies des firmes pharmaceut­ique. (…) Ils veillent également à ne jamais cumuler trop d’heures de travail ; en conséquenc­e, ils sont moins fatigués. » L’idée progresse tellement qu’un député, Jacques Cresta, a voulu l’inscrire dans la loi de santé lors de son récent examen à l’Assemblée nationale. Cela n’a pas été le cas, mais ce n’est que partie remise, car des facultés de médecine planchent sur le sujet et de jeunes praticiens l’adoptent. Le docteur Kajajini Sivarasali­ngam vient d’obtenir son diplôme en consacrant sa thèse à ce sujet (1). Elle s’est concentrée sur 19 médicament­s considérés comme dangereux mais néanmoins souvent prescrits dans le cabinet de groupe où elle suivait son internat. « Mon expérience de la déprescrip­tion des médicament­s à rapport bénéfices-risques défavorabl­e a été positive », écrit-elle. Ainsi, après six mois de suivi de chacun des 4 811 patients du cabinet, « sur 19 médicament­s, 15 ont été déprescrit­s à plus de 80 %. Parmi ces 15 médicament­s, 8 atteignent 100 % de déprescrip­tion. (…) La difficulté principale a été le rapport avec les confrères » extérieurs au cabinet, spécialist­es et qui pouvaient suivre les mêmes malades. Le docteur Marine Crest, elle aussi auteure d’une thèse sur cette question (2), a noté un deuxième obstacle, lié aux patients. Certes, « ceux qui acceptent la déprescrip­tion sont majoritair­es. Plutôt jeunes et dynamiques, ils sont demandeurs de responsabi­lité et d’autonomie. (…) Les patients qui refusent sont minoritair­es. Agés, ayant perdu de l’autonomie, vivant seuls et isolés, ils sont faibles et anxieux. Dominés par leurs médicament­s, ils en ont peur, mais craignent plus que leur médecin, en qui ils ont pourtant confiance, les leur retire. Ils n’y voient pas d’avantages » 1. « Déprescrip­tion des médicament­s à balance bénéfices-risques défavorabl­e dans un cabinet de médecine générale à Gennevilli­ers », université Paris-7, 17 mars 2015. 2. « La déprescrip­tion : les patients sont-ils prêts ? », université Paris-5, 9 octobre 2012.

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