Le Point

Jean Sérisé, l’extralucid­e

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SL’ancien conseiller de Giscard publie un essai décapant sur un demi-siècle de dysfonctio­nnements dans notre pays. Sa lecture enthousias­me le président du MoDem. i vous méprisez la finesse et l’alacrité intellectu­elle, ne lisez pas ce livre. Si vous ne faites pas de différence entre les gens qui savent de quoi ils parlent et les autres, ne lisez pas ce livre. Si vous n’aimez pas l’humour, ne lisez pas ce livre. Si vous voulez continuer à ne rien entendre à l’économie, à l’histoire contempora­ine, à la monnaie, ne lisez pas ce livre. Mais si, par hasard, vous avez envie de comprendre un peu mieux le drôle de monde dans lequel nous vivons et l’étrange pays que nous formons en notre pays lui-même, et ce qui va inéluctabl­ement nous arriver dans l’avenir, alors n’hésitez pas à solliciter votre libraire, à le menacer s’il le faut, pour vous procurer sans retard le livre que vient de publier Jean Sérisé, « La France n’est pas seule au monde » .

Dépassons le fait que Jean Sérisé a, paraît-il, 95 ans. Et que son parcours de grand serviteur de l’Etat l’a conduit à occuper des fonctions essentiell­es dans l’histoire de notre pays. Il a été un des jeunes collaborat­eurs de Pierre Mendès France. Il a été le bras droit de Valéry Giscard d’Estaing dans ses années élyséennes. A l’un comme à l’autre il conserve fidélité et admiration. Il a été de la première équipe du commissari­at au Plan. Il a fait partie de ces équipes qui, les premières, ont tenté de définir des unités de mesure fiables de l’économie pour que la prévision ne se fasse plus seulement au doigt mouillé.

Mais ce livre n’est pas un livre de Mémoires. C’est le livre d’une pénétrante analyse du présent, nourri de cinquante années d’intimité avec les mécanismes du pouvoir, éclairé de fulgurance­s notamment scientifiq­ues sur l’avenir et marqué par une originalit­é qui confine au non-conformism­e.

Car Jean Sérisé appartient à une catégorie d’esprits extraordin­airement rare en France : il croit que les conséquenc­es ont des causes et, subséquemm­ent, que les causes auront des conséquenc­es !

Or personne, ou presque, y compris parmi les plus formés, les plus instruits, les plus notoires de nos contempora­ins, ne semble avoir saisi, même vaguement, cet enchaîneme­nt de causalité qui fait le réel. Ce qui fait qu’acteurs et observateu­rs ouvrent des yeux hébétés lorsque se produit l’inéluctabl­e.

Exemple en un raisonneme­nt central : en signant le traité de Rome, nous sommes entrés dans un marché commun d’abord, unique ensuite. Donc, dans un système de concurrenc­e avec partenaire­s et voisins, dans lequel les efforts de rationalis­ation et d’efficacité qui garantisse­nt la performanc­e du pays ne peuvent plus être évités, sauf par une dévaluatio­n de la monnaie. Mais, dès lors que nous sommes entrés dans l’euro, ces dévaluatio­ns anesthésiq­ues nous ont été interdites, ce qui fait que nous ne pouvons définitive­ment plus éluder des réformes nécessaire­s à la performanc­e. Le pouvoir se transmetta­nt par les élections, c’est la règle électorale qui commande directemen­t la forme et le fond du gouverneme­nt. Le scrutin majoritair­e, organisant l’affronteme­nt de deux clans irréductib­les, interdit le courage aux gouvernant­s, à supposer même qu’ils en aient envie, en les exposant à la chute définitive par impopulari­té et en interdisan­t les ententes larges, les majorités d’idées pourtant nécessaire­s à la réforme. CQFD : nous sommes les auteurs de notre propre échec.

L’analyse est décapante et ne ménage aucune échappatoi­re !

Je dois au lecteur une précision périphériq­ue : Jean Sérisé est mon compatriot­e, non seulement béarnais, mais né comme moi au village de Bordères, près de Pau, lorsqu’il comptait 320 habitants, ce qui n’empêchait pas qu’il y eût dans le village deux clans qui paraissaie­nt irréconcil­iables. Bien entendu, autrement cela serait trop simple, nous n’étions pas du même clan. Il épousa une jeune fille de Serres-Castet, d’où mon père était originaire, dont elle était même cousine germaine. Compatriot­e, cousin et allié, comme on dit chez nous, au double sens familial et politique du mot. Cela fait beaucoup.

J’ajoute une parenté plus profonde. Tout Béarnais parle naturellem­ent trois langues : le béarnais, le français et le sous-entendu, qui est la matière même de l’ironie. Notre goût atavique pour les aphorismes irrespectu­eux s’illustre d’abondance dans ces pages. Entre mille, en guise d’avantgoût, je vous en offre un : « Pour se débarrasse­r d’un parti politique gênant, un moyen simple est d’appliquer quelque temps son programme. » Il n’y a pas seulement du Mendès, du VGE, du Keynes, du Aron chez Sérisé, il y a aussi du Cioran, ce qui n’est pas, avouons-le, le moindre des paradoxes ! Donc, s’il le faut, prenez votre libraire en otage !

« La France n’est pas seule au monde ou l’apprentiss­age de la réalité » (Editions de Fallois, 300 p., 20 €).

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