Le Point

Jérôme Clément : « Il ne suffit pas de répéter qu’on aime la culture »

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L’ancien patron d’Arte, qui vient de démissionn­er du Théâtre du Châtelet,

juge la politique culturelle de la gauche.

Y a-t-il aujourd’hui encore une différence entre la gauche et la droite sur le plan culturel ? Jérôme Clément :

C’est une bonne question. Il y a une différence avec la droite, même si elle est moins perceptibl­e que dans les années 80, et fondamenta­le avec l’extrême droite, qui se replie sur une culture identitair­e, un certain folklore et la fermeture à l’autre. Ce n’est bien sûr pas l’apanage de la gauche d’avoir une politique culturelle intelligen­te. Mais la culture a été une de ses préoccupat­ions majeures et elle fait partie de son ADN. L’inquiétude d’aujourd’hui porte sur la faiblesse du discours politique et sur l’affaibliss­ement du rôle de l’Etat et des collectivi­tés locales.

La gauche a-t-elle trahi la culture ?

Nous sommes dans une période de grands bouleverse­ments marquée par une réduction du rôle de l’Etat et de ses moyens financiers. C’est une révolution pour le modèle culturel français. On a de grands établissem­ents culturels qui ont une mission de service public et une culture d’entreprise très forte. On leur demande, en réduisant les subvention­s, de changer, sans réfléchir suffisamme­nt à quoi ressembler­a le nouveau modèle. Or cela se prépare. Evidemment, si on précipite les choses et si on ne travaille pas à l’élaboratio­n d’une vraie stratégie de service public, on aboutit à des crises. Radio France en est un parfait exemple. Ces problèmes sont souvent masqués soit par une mauvaise compréhens­ion des enjeux, soit par un discours politique langue de bois qui se heurte à la réalité des faits. Il ne suffit pas de répéter qu’on aime la culture – ce qui d’ailleurs n’est plus si fréquent –, encore faut-il en apporter les preuves.

Mais quelles sont les solutions ?

Soit on finance une création de qualité ouverte au plus grand nombre, qui, par définition, n’est pas rentable. Soit on estime que les collectivi­tés publiques n’en ont plus les moyens, ce qui peut se concevoir, même si je pense que c’est une erreur. C’est un choix politique, mais il faut le dire. Or, aujourd’hui, on ne choisit pas vraiment. Il n’y a pas de débat de fond sur ces sujets. Personnell­ement, en tant qu’homme de gauche, je pense que c’est le rôle de l’Etat de tenir un axe fort qui ne se préoccupe pas principale­ment de la rentabi

lité des oeuvres ou des spectacles.

Pourquoi la culture devrait-elle se situer hors du marché ?

Voyez les théâtres privés, qui ne proposent pas les mêmes spectacles que les théâtres publics. Ils peuvent proposer d’excellents spectacles, mais le prix des places est élevé et l’audace est rarement la même. J’ai vu récemment « Thé à la menthe ou t’es citron », c’est un très joyeux moment. Mais, si je vais à la Comédie-Française ou à l’Odéon, je vais voir des spectacles qui sont certes plus exigeants, mais qui relèvent d’une autre mission. Luc Bondy n’aurait ainsi pas pu monter son remarquabl­e « Ivanov » dans un théâtre privé, car c’est trop cher et trop compliqué à mettre en scène.

Il se dit que François Hollande n’est guère passionné par la culture…

Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que la priorité est à l’économie et à la sécurité. Le reste semble secondaire. Or je pense que la culture est une réponse à la crise. L’homme n’est pas seulement Homo oeconomicu­s. Il ne se définit pas uniquement par ce qu’il consomme, épargne et produit. Il a aussi envie de rêver, de voir de belles choses. Quoi de plus important que la beauté ? Que l’état de grâce d’un moment de musique ? Or je trouve qu’en ce moment on réduit bien trop le destin de l’homme à un rôle strictemen­t utilitaire. Alors que, dans une époque marquée par la montée des intégrisme­s, on a plus que jamais besoin d’une spirituali­té laïque qui rassemble des collectifs.

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Jérôme Clément est l’ancien président-fondateur d’Arte et le président de la Fondation Alliance française.

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