Le Point

2016, l’année Alain Juppé ?

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

« Les narcisses arrivent en retard, les maniaques à l’heure et les paranos en avance. » Cette plaisanter­ie vaut pour la vie de tous les jours comme pour une campagne présidenti­elle. Alain Juppé n’est ni narcissiqu­e ni parano.

Observez-le avancer ses pions, en donnant du temps au temps. Parti seulement l’an dernier dans la course à l’Elysée, il la fait largement en tête. Si les dés de la primaire de la droite, à l’automne prochain, ne sont pas pipés, on ne voit pas bien qui pourrait le rattraper.

Par surprise ou par écrasement : voilà les deux façons de gagner une élection présidenti­elle. La première stratégie fut celle de Giscard en 1974 ou de Chirac en 1995, qui l’ont emporté pour ainsi dire par effraction devant les favoris. La seconde, celle du général de Gaulle en 1965 ou, comparaiso­n n’est pas raison, de Sarkozy en 2007 : ils dominaient le paysage, ils étaient des évidences. Juppé a clairement adopté cette seconde méthode.

Pourquoi cet engouement ? Pour plusieurs raisons, dont la moindre n’est pas la personnali­té. Un pur produit de la méritocrat­ie à la française, d’une loyauté et d’une intégrité à toute épreuve, couturé de cicatrices, sans parler des blessures intérieure­s, qui se relève toujours après les coups du sort. C’est l’enfant qu’auraient pu avoir ensemble Jacques Chirac et François Mitterrand. Un survivant, moitié Phénix, moitié Sisyphe, comme les Français les aiment. « C’est son tour », disent-ils volontiers avec les yeux plissés des paysans soupesant le pis de leur vache.

Se gardant à droite et à gauche, Alain Juppé s’est peu à peu imposé comme une sorte de « père de la nation ». Ce n’est pas seulement tactique, mais aussi, si l’on ose dire, génétique. D’abord, parce que ce gaulliste, de plus en plus mal à l’aise à l’intérieur des barrières des partis, les ferait volontiers sauter. Ensuite, parce que le maire de Bordeaux est comme en mission sur des terres du Sud-Ouest, qui restent biologique­ment acquises aux socialiste­s : il y a appris à saturer l’espace politique. Enfin, parce qu’il a compris avant d’autres que son camp n’avait rien à gagner à singer le Front national. Après avoir bien fonctionné en 2007, la triangulat­ion à la Sarkozy a fait son temps, comme on a pu l’observer avec sa défaite de 2012 : ce n’est plus ainsi que la droite réduira le FN, qui se rapproche des portes du pouvoir.

Les sarkozyste­s accusent déjà Juppé de n’être pas assez à droite, en dépit de la fermeté sécuritair­e affichée dans son nouveau livre « Pour un Etat fort ». Gageons qu’à son propos l’ancien président paraphrase­ra bientôt Sartre sur Camus : « Il n’est ni à droite ni à gauche, il est en l’air. » Eh bien, justement, c’est pour ça que le maire de Bordeaux, survolant le paysage, semble assuré de l’emporter s’il est le candidat de la droite. Il est devenu une sorte de point de rencontre. Un paternel providenti­el à l’heure où le pays rejette à la fois Hollande et Sarkozy, ce dernier n’étant plus assuré, selon les sondages, d’arriver devant le président sortant au premier tour pour affronter Marine Le Pen au second (1).

Qu’est-ce qui peut arrêter son ascension ? Sans doute doit-il se méfier de lui-même et d’une certaine arrogance, mais, depuis le temps, ses échecs lui ont appris à en rabattre. Il serait bien inspiré aussi de jeter un oeil par-dessus son épaule. François Hollande n’est pas manchot et n’est jamais meilleur que dans l’adversité. Quant à Nicolas Sarkozy, il a encore du ressort, même s’il n’imprime plus, qu'il a perdu sa vista et doit traîner le handicap d’un bilan pas fameux, y compris du point de vue de la droite, avec la loi sur la représenta­tivité des syndicats ou la défiscalis­ation des heures supplément­aires, qui amenait la nation à payer pour que ses salariés travaillen­t moins ! Si l’ancien président déclare finalement forfait, Alain Juppé sera-t-il au bout de ses peines ?

François Fillon n’a pas désarmé. C’est une pitié de le voir empégué dans la bataille présidenti­elle alors qu’il reste l’un des rares hommes d’Etat à faire avancer le débat public avec des propositio­ns de haute volée en économie comme en politique étrangère, où, sur l’ Etat islamique, il a eu deux à trois ans d’avance sur tout le monde. S’il y a une justice en politique, il reviendra forcément, d’une manière ou d’une autre.

Alors que l’horizon de notre pays semble à peu près aussi noir, ces jours-ci, que le drapeau de Daech, les Français privilégie­ront toujours l’expérience par rapport au renouvelle­ment, mais, à gauche comme à droite, la nouvelle génération est en mesure de prendre à tout moment la relève avec Manuel Valls, Bruno Le Maire, NKM, François Baroin ou les stars des régionales comme Xavier Bertrand, Christian Estrosi, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez. Si les temps restent aussi durs, il leur faudra encore patienter. Mais qu’ils se rassurent : la jeunesse est un défaut qui se corrige toujours !

1. Le 14 décembre, un sondage Harris-Interactiv­e pour M6 mettait à égalité MM. Hollande et Sarkozy. Le 18 décembre, un sondage Ifop pour Atlantico plaçait M. Hollande devant l’ancien président.

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