L’Etat islamique recule. Mais le pays reste écartelé entre chiites, sunnites et Kurdes. Reportage.
Fatima éteint son smartphone. Elle est en pleurs. Ces vingt minutes de conversation par l’application Internet Viber avec Ahmed, son mari, l’ont bouleversée. « Il a dû s’acheter une longue barbe, répète-t-elle, les yeux vides, et je lui ai dit que je l’autorisais à se remarier. » Fatima, 25 ans, chiite, a fui Mossoul avec ses deux jeunes enfants lorsque les miliciens de Daech ont pris la deuxième ville d’Irak, plus de 1 million d’habitants, à l’été de 2014.
Son époux, Ahmed, 27 ans, sunnite, est resté pour protéger leurs biens et, surtout, parce que personne, à cette époque, ne pensait que cette « occupation » durerait aussi longtemps. Chacun de leurs échanges quotidiens plonge la jeune femme dans un immense désarroi, mais cette fois-ci c’en est trop : elle sent confusément qu’elle ne reverra plus son mari, c’est pourquoi il faut qu’il sache qu’il a le droit de refaire sa vie.
Insidieusement, Daech s’est infiltré dans l’intimité des habitants : l’organisation terroriste gère les écoles, les universités, les hôpitaux, la distribution d’énergie, les impôts. La mixité a disparu, les barbes longues ont été imposées, d’où le commerce de postiches. Peu à peu, les Mossouliotes ont été pris dans une impitoyable nasse, quasiment sans témoins, même s’il reste théoriquement possible d’entrer dans la ville en s’acquittant d’un bakchich de 1 000 euros, mais sans assurance aucune de pouvoir en ressortir. Le coût d’un départ est encore plus élevé (8 000 euros) et ne garantit aucunement le passage, comme beaucoup ont pu l’éprouver, qui furent contraints de rentrer chez eux délestés de leurs économies, des bijoux de famille, de leurs véhicules et papiers d’identité.
Soudain, Fatima se reprend et lâche : « Pardonnez-nous pour les attentats de Paris, on ne comprend pas pourquoi des jeunes de chez vous copient ce qu’on produit de pire ici : l’ultraviolence. Nous, on est habitués, on sait à quel point ça fait mal… »
Alors que les Etats occidentaux, France et Etats-Unis en tête, ont répondu au carnage du 13 novembre par des frappes aériennes redoublées, en Irak, premier pays à souffrir de la présence de Daech et de la violence comme mode de gouvernance, un sujet est sur toutes les lèvres : la libération de Mossoul. La cité est symbolique, car le calife autoproclamé de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, a précisément déclaré son califat à Mossoul, vers laquelle converge du monde entier un intarissable flot d’apprentis djihadistes.
Mais, après les succès remportés à Ramadi et Sinjar, comment reconquérir la cité sans provoquer un bain de sang parmi les civils ? La coalition internationale privilégiant les frappes aériennes, quelles troupes au sol seront déployées ? Seront-elles bien reçues ? Les forces en présence (armée irakienne, majoritairement chiite, milices populaires chiites, peshmergas kurdes, groupes sunnites) sont profondément divisées sur la marche à suivre et peu enclines à coopérer.
Depuis la chute de Saddam Hussein, issu de la minorité sunnite, cette dernière n’a cessé de