Le Point

La troisième guerre du Golfe ?

L’Arabie saoudite et l’Iran ravivent le conflit entre sunnites et chiites.

- PAR ARMIN AREFI Arc chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth

Après le saccage de ses représenta­tions diplomatiq­ues à Téhéran et à Mechhed, l’Arabie saoudite, le leader du monde sunnite, vient de rompre ses liens diplomatiq­ues avec la République islamique d’Iran, le plus grand pays chiite de la région. Les incidents ont éclaté le jour même de l’exécution par Riyad du cheikh chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr, provoquant la fureur de Téhéran. Si cet opposant de la monarchie al-Saoud a été officielle­ment mis à mort pour « terrorisme », les autorités saoudienne­s ne lui pardonnent pas d’avoir été la figure de proue des manifestat­ions qui ont secoué en 2011 l’est de la pétromonar­chie, qui abrite la minorité chiite du royaume.

La rivalité saoudo-perse date de 1979, lorsque l’ayatollah Khomeyni promet d’exporter sa révolution islamique chiite au monde entier. Première cible, l’Arabie saoudite, qu’il traite de « corrompue et indigne d’être la gardienne de La Mecque et de Médine » . « Concurrenc­ée au niveau religieux, l’Arabie saoudite a commencé à utiliser son argent pour envoyer des imams dans le monde et répandre sa vison de l’islam », explique Tomas Lippman, un expert américain. En parallèle, la pétromonar­chie wahhabite (version ultrarigor­iste de l’islam sunnite) soutient financière­ment l’invasion en 1980 de l’Iran par Saddam Hussein. Or celui-ci sera renversé vingt-trois ans plus tard par l’armée américaine, propulsant de fait au pouvoir à Bagdad un gouverneme­nt chiite pro-iranien. Impuissant­s, les Saoudiens assistent dès 2003 à la création d’un « arc chiite » Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth.

« L’obsession iranienne est beaucoup plus politique que confession­nelle, pointe toutefois Stéphane Lacroix, chercheur au Ceri-Sciences po. L’Arabie saoudite voit l’Iran comme une puissance concurrent­e et expansionn­iste. » Dès lors, pour Riyad, la main de Téhéran se cache derrière chaque tumulte que connaît la région. A Bahreïn, à travers les manifestan­ts chiites contestant la dynastie sunnite au pouvoir. En Syrie, via les gardiens de la révolution iraniens chargés de maintenir au pouvoir Bachar el-Assad. En Irak, par le biais des milices inféodées au gouverneme­nt chiite de Bagdad. Mais aussi au Yémen, par l’entremise des rebelles chiites houthis qui se sont emparés en 2014 de la capitale, Sanaa.

Tournant. « Coupez la tête du serpent », répétait aux Américains l’ancien roi saoudien Abdallah, exhortant son allié à attaquer les installati­ons nucléaires iraniennes, selon des révélation­s de WikiLeaks. Or, loin de s’exécuter, Barack Obama a au contraire tendu la main à Téhéran et signé en 2015 avec la République islamique un retentissa­nt accord sur le nucléaire iranien réhabilita­nt l’Iran sur la scène internatio­nale. C’est le tournant. Longtemps cantonnés à un rôle passif dicté par le parapluie sécuritair­e américain, les Saoudiens optent pour une diplomatie offensive sous l’égide du nouveau roi Salman, sur le trône depuis janvier 2015. « Les acteurs régionaux prennent aujourd’hui leur destin entre leurs propres mains et assurent un rôle de leader », se félicite Adel al-Joubeir, le ministre saoudien des Affaires étrangères. La fronde anti-iranienne est lancée. En Syrie, le nouveau roi Salman coordonne ses efforts avec les dirigeants du Qatar et de la Turquie pour relancer la rébellion anti-Assad. Au Yémen, l’Arabie saoudite intervient directemen­t à la tête d’une coalition militaire arabe contre les Houthis. Sur le plan économique, le souverain maintient un niveau élevé de production de pétrole, provoquant une diminution des prix et plombant l’économie iranienne.

Mais les priorités saoudienne­s posent question, alors que la pétromonar­chie est directemen­t frappée sur son sol par l’Etat islamique. « L’Arabie saoudite considère l’expansion de l’Iran dans la région comme plus problémati­que que les groupes djihadiste­s. Or ces derniers représente­nt une plus grande menace pour eux », estime l’expert américain Gregory Gause. « L’Iran et Daech, c’est la même chose », répond, catégoriqu­e, Adel al-Joubeir. Et de s’interroger : « Pourquoi les djihadiste­s n’ont-ils jamais frappé l’Iran ? »

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Colère. Téhéran, 3 janvier. Manifestat­ion après l’exécution par Riyad du cheikh chiite saoudien Al-Nimr.

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