Le Point

Il était l’une des icônes des années 70. Ses chansons sont des classiques. Flash-back.

- PAR ALBERT SEBAG

«M a pauvre Cécile, j’ai 73 ans, j’ai appris que Mick Jagger est mort dernièreme­nt… » Cette saloperie de crabe aura rongé Michel Delpech jusqu’au bout, alors qu’il allait fêter ses 70 ans le 26 janvier. Jagger, lui, est bien vivant et personne ne s’en plaindra.

La mort de Delpech, c’est un soleil noir de plus qui se couche sur une France dévastée. Il y aura des abrutis pour dire et écrire qu’après tout il n’était qu’un « chanteur de variétés ». Comme on les plaint, s’ils n’ont pas su fredonner « Chez Laurette » ou « Wight is Wight ».

Delpech, c’était les chemises à fleurs, les pattes d’eph, les gros ceinturons. Delpech, c’était l’amour libre, les Trente Glorieuses, le baby-boom. Delpech, c’était la mélancolie, la nostalgie légère. Delpech, c’était l’insoucianc­e.

Ce 2 janvier est un jour minable. Sa fille disait qu’il avait « vaincu décembre », et l’artiste a eu la noblesse de tenir deux jours de plus pour ne pas endeuiller un soir de fête ce pays qu’il aimait tant et qui souffre dans sa chair et son sang.

Il était attaché à la terre et à ses plaisirs. Ecoutez à nouveau ce chef-d’oeuvre qu’est « Le chasseur ». Riez aussi de bon coeur avec « Le Loir-et-Cher ». Pour un bon coup de blues, écoutez cinq fois, dix fois de suite « Les divorcés ». Aucun chanteur au monde n’a mieux traduit et interprété les lendemains d’une séparation.

Puisque ce pays crève de l’étiquetage et a tant besoin de compartime­nter le talent, il est utile de rappeler à quelques-uns que Delpech fit les premières parties de Brel. Profitable aussi de ne pas oublier que le chanteur était respecté par la totalité de ses pairs. Et pour cause : lorsqu’on a popularisé – un mot qui doit écorcher les oreilles des bobolâtres et des snobinards – une quinzaine de titres entonnés aujourd’hui aussi bien par les vieillards que les ados, on ne fait pas seulement partie du patrimoine culturel. On est la France et on ajoute à la France.

Mais Delpech n’était pas qu’un grand chanteur populaire. Ses rimes et ses notes ont autant fait pour la littératur­e et la poésie que certains de nos meilleurs contempora­ins. Réécouter Michel Delpech, c’est comme relire Jean-Marc Roberts. La même manière incomparab­le de pointer les drames de la vie avec une pudeur de prince slave. Roberts devait souvent chantonner Delpech. Roberts devait souvent être lu par Delpech. On a beaucoup pleuré le premier. On va beaucoup pleurer le second.

Partout, en famille, vont défiler ses Scopitone. On constatera alors qu’on pouvait porter la moustache sans ressembler à un beauf. Delpech était d’une beauté irréelle, un mélange de charme latino-british. Dans trente ans, tout le monde continuera à le chanter et à être touché par sa soif d’exister et son ironie blessée.

Epicurien de naissance, Michel Delpech était exactement tout ce que les barbares abhorrent. Souvent il avait dit combien « Marianne était jolie ». Il est parti cinq jours avant le 7 janvier. Troublante assonance. Daech, la mort. Delpech, la vie

 ??  ?? Avec Mireille Darc et Serge Lama dans la loge de Michel Sardou après son concert à L’Olympia, le 30 décembre 1974.
Avec Mireille Darc et Serge Lama dans la loge de Michel Sardou après son concert à L’Olympia, le 30 décembre 1974.

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