Galabru, du génie et des nanars
Il passait pour un rigolo alors qu’il avait l’amour des grands textes. Pourquoi tant de talent et de si mauvais choix ?
«M eilleur acteur, moi ? Peut-être une fois, un soir, aux césars, pour “Le juge et l’assassin” », s’interrogeait Michel Galabru dans « Je ne sais pas dire non » (Michel Lafon). C’était en 1976. Ce soir-là, il ne voulait pas y aller, sûr de perdre face à Delon, Dewaere ou Depardieu. Puis, rabroué par sa femme, il s’était ravisé. Il fit bien, même si devant la grande famille du cinéma français, qui l’avait toujours pris pour un rigolo, il passa presque pour un voleur après avoir joué l’assassin. Lorsque Bertrand Tavernier lui avait proposé le rôle de Bouvier, le meurtrier fou de petites filles que la société bourgeoise condamne à mort parce qu’il tient des propos subversifs, Galabru crut que le cinéaste l’avait confondu avec Jacques Dufilho, qu’il jugeait beaucoup plus apte. Le choix s’étant confirmé, l’acteur, déjà âgé de 53 ans, s’était renseigné, très inquiet, auprès de Jean Rochefort : « Comment fait-on un bon film ? Des mauvais, j’en ai fait beaucoup, mais un bon, dis-moi comment ça se passe ? » Cela se passa très bien. « Il était comme un nouveau-né. Tout semblait jaillir. Il donnait, en s’amusant, l’impression de transcender, d’abolir son métier », se souvient Tavernier, qui, fréquentant les théâtres, savait que cet ex-pensionnaire de la Comédie-Française pouvait faire mieux que Bourrache dans « La bande à Bobo », de Tony Saytor, ou Maspie le grand dans « La honte de la famille », de Richard Balducci, pour ne citer que deux des innombrables navets qui firent bouillir la marmite Galabru.
S’il avait l’étoffe des grands, pourquoi sa carrière cinématographique donne-t-elle l’impression d’un immense gâchis ? Que retiendra-t-on de lui au-delà du Tavernier ? « C’est le norrrrd ! » lâché au détour d’une panouille dans « Bienvenue chez les Ch’tis » ? Un peu léger pour servir de linceul à une postérité. Son rôle d’ordure collaborationniste dans « Uranus », où il avouait que « lire dans les journaux la liste des dénonciations le faisait jouir » ?
« Magnifique ». C’était bien ce registre « hénaurme » tenu jadis par les Jules Berry, Harry Baur, Raimu, dont il aurait pu reprendre le flambeau si… S’il n’y avait eu cette timidité, qui empêche de dire non ? Si timide, Galabru, qu’il ne se sentit à sa place ni dans la maison de Molière, ni chez Vilar, ni ailleurs. Si timide qu’au dernier moment, bien que muni d’une lettre de recommandation auprès du maître Guitry, à qui il devait sa vocation, il rebroussa chemin. Avec ses yeux ronds et sa voix rocailleuse, il préféra jouer « les rondeurs » : ceux dont on peut rire sans se sentir mauvais homme. Les cocus, les pleutres, les gendarmes ringards… Anecdote terrible : en vacances à Saint-Tropez, il ouvre les volets de son hôtel et entend un producteur : « On a de Funès, pour les autres, vous me mettrez des ringards. » Il ne dit rien. De retour à Paris, il est contacté pour être un de ces ringards. Autre anecdote non moins terrible qu’il raconte dans « Tout est comédie » (ChercheMidi). Après le tournage du « Juge et l’assassin », Tavernier et Noiret le semoncent : « Après ce film, Michel, jure-nous que tu ne feras plus de merde. Tu étais magnifique. » Il promet. Mais déjà une merde bien payée se profile : « Je me dis, non, Michel, non, je ne peux pas. » Il pourra.
L’amour des grands textes contracté durant sa jeunesse ne l’avait pourtant jamais quitté : pour les transmettre, il n’eut de cesse de reprendre des théâtres, d’ouvrir une école ou d’enregistrer les chefs-d’oeuvre de la littérature pour la jeunesse. Sur le tard, une certaine reconnaissance lui est accordée. Il se met enfin dans les pas de Raimu chez Pagnol. Ironie du sort, en 2008, il décroche le molière pour « Les chaussettes… », où il joue un comédien raté. Et le public lui réserve un triomphe pour les one-man-shows où il dévide sa vie, ses déboires, avec le recul amusé de la vieillesse. Le titre du dernier qu’il jouait en 2015 ? « Le cancre »…