Le Point

La vérité médicale… à tout prix ?

Quand le souci de transparen­ce se retourne contre celui auquel il est censé profiter : le malade.

- Par Didier Raoult

J ’ai

vu évoluer au cours de ma carrière, depuis l’observatio­n des maîtres les plus anciens jusqu’à celle des médecins plus jeunes, les rapports entre médecins et malades d’une manière singulière. Par tradition, les vieux médecins étaient, en France et dans les pays méditerran­éens, des hommes bienveilla­nts, protecteur­s, et avaient tendance à dissimuler la gravité de leur maladie aux malades pour ne pas les inquiéter, y compris quand il s’agissait de maladies mortelles. Ce qui allait même parfois jusqu’à cacher le pronostic à la famille. Cette attitude particuliè­rement paternalis­te consistait à traiter les malades comme des enfants, ce qui était évidemment excessif. Par ailleurs, assez communémen­t, et avec beaucoup de succès, les médecins utilisaien­t à dessein de faux médicament­s, vitamines ou produits anodins, pour soulager leurs patients grâce à l’effet placebo. Cela évitait les effets négatifs de médicament­s actifs mais inutiles.

Et puis la vérité médicale « à tout prix » nous est arrivée des pays anglo-saxons. La consigne est devenue : il faut tout dire aux malades, « Vous avez un cancer et votre espérance de vie est de deux mois » ou « Vous êtes en train de devenir gâteux, abandonnez votre travail ». Ces rapports nouveaux entre médecin et patient m’apparaisse­nt, à moi qui suis entre deux génération­s, comme blessants, voire sadiques, et d’aucune efficacité. Le médecin n’amortit plus la mauvaise nouvelle. Lui qui, autrefois, s’attribuait l’entière responsabi­lité de la maladie du patient considère désormais qu’il a le droit de déclamer des horreurs. Le pis, c’est que cette vérité, dont l’intérêt médical est loin d’être évident, peut par la suite se révéler fausse ! Enfin, au nom de la pleine responsabi­lité et autonomie du patient à l’anglo-saxonne, nous ne pouvons plus prescrire des produits dont nous savons qu’ils n’ont pas d’efficacité chimique, même s’ils ont un intérêt pour le patient. Par ailleurs, le souci de transparen­ce s’agissant des médicament­s interdit aux médecins de mentir sur l’efficacité présumée d’une prescripti­on. Donc, exit le placebo !

Cela a deux conséquenc­es : la première est la ruée sur les médecines alternativ­es, où les médecins sont gentils, patients et utilisent des produits sans danger mais aussi sans démonstrat­ion d’une efficacité indéniable. La seconde conséquenc­e est l’augmentati­on considérab­le des procès. Etant expert près les tribunaux, j’ai pu constater que, dans la plupart des dossiers, les malades se plaignent plus de la brutalité ou du manque d’attention de leur médecin que de son incompéten­ce.

La médecine reste un art autant qu’une science. Il faudra probableme­nt revenir à un équilibre où l’art d’aider les malades ne peut être remplacé exclusivem­ent par la science. Et, oui, il faudra parfois assumer de mentir !

Les malades se plaignent plus de la brutalité ou du manque d’attention de leur médecin que de son incompéten­ce.

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