Le Point

De la Renaissanc­e à nos jours en passant par la Révolution française, le récit d’une « mutation de la pensée ».

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Le Point : Philosophi­quement, où puise le libéralism­e ? Roger-Pol Droit :

Ses origines philosophi­ques sont en fait rigoureuse­ment les mêmes que celles de la modernité politique, qui commence, en gros, à Machiavel. En ce sens, il ne s’agit pas d’une doctrine fixe, encore moins d’une idéologie, mais plutôt d’un ensemble de lignes de force : droits de l’individu plutôt que soumission à l’autorité royale ou religieuse, liberté de conscience plutôt qu’assujettis­sement à l’Eglise, séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, contrat social plutôt que droit divin, droit à la rébellion plutôt que devoir d’obéissance… Il faut y ajouter cette affirmatio­n centrale : pour les libéraux, les normes et valeurs des sociétés humaines sont construite­s, artificiel­les, et non naturelles ou divines. C’est une véritable mutation philosophi­que, dont le succès a été tel que toute notre pensée est fondée sur ces piliers « libéraux » dont nous n’apercevons plus la singularit­é parce qu’ils se sont fondus dans la société, ses institutio­ns, sa vie politique – des déclaratio­ns des droits de l’homme (1789, 1948) aux Constituti­ons des Etats modernes. Aujourd’hui, on dit « démocratie » pour parler de cette société libérale qui a triomphé des Anciens Régimes. En fait, vus sous cet angle, nous sommes tous des libéraux. Mais nous l’avons oublié.

Peut-on tout de même dater son acte de naissance ?

le rôle de l’Etat, fait confiance à la société civile et fonde le contrat social sur les intérêts des individus, en particulie­r dans sa « Lettre sur la tolérance » (1689). Montesquie­u en est un autre, théorisant la séparation des pouvoirs dans « De l’esprit des lois » (1748), en insistant à la fois sur les libertés individuel­les et sur les vertus collective­s. J’ajouterai à cette liste, qui pourrait se poursuivre, Benjamin Constant, dont l’étude de 1819, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », analyse très clairement ce qui constitue la modernité : chez les Grecs et les Romains, la Cité seule était libre et les citoyens l’étaient dans la mesure où ils en étaient membres. Au contraire, pour les Modernes, les individus sont libres, et la Cité doit préserver, garantir et développer cette liberté individuel­le préexistan­te. Et évidemment Tocquevill­e, qui a compris dans « De la démocratie en Amér i que » , e n s e f ondant a uss i s ur l e processus de la Révolution française, que l’égalité devenait le maître mot de la civilisati­on en train de se construire. Je parlerai également de ceux qui ont oeuvré au renouveau de pensée libérale qui s’est affirmé dans la seconde moitié du XXe siècle, en tirant les leçons des totalitari­smes – fascisme, nazisme, communisme. Je pense à Raymond Aron, Friedrich Hayek ou Robert Nozick. Roger-Pol Droit. Philosophe et écrivain. Dernier ouvrage paru : « L’espoir a-t-il un avenir ? En finir avec le pessimisme », avec Monique Atlan (Flammarion).

C’est difficile, car la mise en place de cette mutation philosophi­que s’est étendue de la Renaissanc­e à la Révolution française. Et puis tout dépend de quel libéralism­e on parle. Car le libéralism­e est à la fois vraie philosophi­e, auberge espagnole, épouvantai­l, selon la manière dont on l’observe. Certains parlent de Hobbes, parce qu’il a comparé l’Etat à un monstre dans « Léviathan », mais, en même temps, il justifie l’Etat et le montre indispensa­ble (pas de paix sociale relative sans la peur). Je dirai plutôt John Locke (1632-1704), assurément l’un des pères spirituels du libéralism­e parce qu’il redéfinit

Etre libéral, c’est être révolution­naire ?

En un sens, oui. D’abord contre l’ancien régime du droit divin, des corporatio­ns, des privilèges. Par la suite, la situation s’est inversée au cours de la Révolution française, avec le jacobinism­e et la Terreur. En simplifian­t, on pourrait dire que l’Histoire contempora­ine n’a cessé de voir s’affronter, depuis plus de deux siècles, deux modèles opposés de « révolution ». L’un met en avant les normes du collectif, impose des systèmes clos, engendre à terme des régimes totalitair­es. L’autre donne la priorité aux droits des individus, aux initiative­s personnell­es, et génère des systèmes ouverts. Leur combat a pris des formes multiples, de guerres chaudes en guerres froides. Il n’est pas fini. Après l’effondreme­nt du bloc soviétique, le retour du libéralism­e s’est présenté comme

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