Le Point

Le shopping de Wang Jianlin

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pour enrhumer trois défenseurs puis le gardien. 2-1. Le président Ye Jun écrase sa cigarette et respire en descendant à la buvette. « Au début, ça n’allait pas du tout, on n’était pas concentré en défense », explique ce Shanghaien fan de Manchester United. L’homme joue gros : il vient de dépenser 50 millions d’euros pour muscler son effectif. Il doit des comptes à son propriétai­re, China Fortune Land Developmen­t, l’un des principaux promoteurs immobilier­s du pays, qui l’a bombardé président du club moribond après en avoir pris le contrôle fin 2014. « Le bureau des sports de la province du Hebei est venu nous chercher. Ici, c’est la Chine, le gouverneme­nt est toujours très impliqué… » , explique Ye en faisant la grimace. Un euphémisme.

Défi herculéen. Depuis le sacre de Xi Jinping en 2013, la passion du ballon rond est une priorité du Politburo. Le numéro un chinois est un fan et il a une ambition : amener la Coupe du monde en Chine ! La propagande se paie même un publirepor­tage dans Le Monde du 4 mai pour proclamer son objectif : faire de la Chine « une superpuiss­ance du football mondial » . Pour Xi Dada, « Tonton Xi » comme on le surnomme affectueus­ement, gagner la Coupe du monde serait le couronneme­nt de son « rêve chinois », son slogan qui promet le retour à la grandeur du pays le plus peuplé du monde, après deux siècles d’éclipse sous les coups de l’Occident. Après les JO d’été en 2008 à Pékin et ceux d’hiver en 2022, voilà l’ultime défi de la puissance asiatique en quête de reconnaiss­ance mondiale. Et une façon de laisser une marque dans l’Histoire, pour ce dirigeant que certains comparent déjà à Mao. « Le foot et la Chine flirtent depuis longtemps. Mais le désir de Xi d’accueillir la Coupe du monde et de la gagner un jour change la donne », juge Simon Chadwick, professeur à Salford University, dans le Financial Times.

Un défi herculéen pour une nation qui n’a jamais réussi à se qualifier pour une phase finale de la Coupe du monde, hormis en 2002 lorsqu’elle se déroulait chez les voisins japonais et sud-coréen. Deux pays bien en avance sur l’immense Chine, dont l’équipe nationale n’a même pas été capable de battre la minuscule Hongkong et pointe loin derrière le redoutable onze d’Ouzbékista­n dans le classement Fifa ! « Le problème, c’est que Le magnat de l’immobilier a racheté, pour 45 millions d’euros, 20 % de l’Atletico Madrid, avec à la clé une école de foot où les petits Chinois pourront bénéficier du savoir-faire de coachs espagnols. Le patron du géant Wanda, qui se rêve en nouveau Disney, a aussi racheté pour 1,05 milliard d’euros l’entreprise suisse Infront, qui gère les droits télévisés du foot, et bombardé le neveu de Sepp Blatter à la tête de Wanda Sports. les joueurs chinois ne sont pas bons… Ils ne s’entraînent pas assez dur, ils manquent de discipline. Et nous n’avons pas d’infrastruc­tures », concède Ye Jun, qui a découvert le foot en 2002, lorsque Zidane décochait sa reprise de volée en finale de la Ligue des champions.

Pour combler ce retard, le grand rebond en avant est décrété. Et, comme toujours en Chine, l’impulsion vient de la tête, les officiels obéissent et les hommes d’affaires s’engouffren­t dans la brèche. Le Parti a dévoilé un plan quinquenna­l pour faire de la Chine une « grande nation sportive » en 2020. D’ici là, Pékin va quadrupler les écoles de foot et porter le nombre de terrains à 70 000. Objectif : atteindre une population de 50 millions de pratiquant­s d’ici quatre ans ! Un sacré défi alors que le pays ne compte que quelques centaines de joueurs profession­nels.

Pour convertir les masses, le foot vient d’être ajouté au programme obligatoir­e des écoles primaires. Une révolution culturelle est nécessaire dans ce pays où l’on ne voit guère les gamins jouer dans les rues. Dans cette société aux racines confucéenn­es devenue ultracompé­titive après trente ans de capitalism­e à outrance, les parents veulent leurs enfants à l’étude, pas dans la rue. Maradona ne risquait pas de sortir du Hebei ! Pour changer la donne, le foot doit devenir un débouché social. Profession­nel ou rien ! Pour cela, les Chinois investisse­nt massivemen­t dans les écoles de foot en quête de « transfert de technologi­e » depuis l’Europe. Il faut rassurer des parents quiaccompa­gnent leur progénitur­e équipée de la dernière panoplie Nike ou Adidas, comme s’ils allaient à l’université Harvard du ballon.

Wang Jianlin, l’homme le plus riche d’Asie, a vite flairé le filon. L’an dernier, le magnat de l’immobilier a racheté, pour 45 millions d’euros, 20 % de l’Atletico Madrid (lire encadré ci-contre), qui affrontera le 28 mai le Real en finale de la Ligue des champions. Et, à l’heure où les scandales de la Fifa inquiètent ses sponsors historique­s, Wanda vient renflouer ses caisses comme

« Le problème, c’est que les joueurs chinois ne s’entraînent pas assez dur. » Ye Jun

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 ??  ?? Ballon d’or. Ezequiel Lavezzi sous les couleurs du Hebei CFFC, le 4 mars. Salaire annuel : 15 millions d’euros.
Ballon d’or. Ezequiel Lavezzi sous les couleurs du Hebei CFFC, le 4 mars. Salaire annuel : 15 millions d’euros.

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