LE RETOUR DES ANARCHISTES
Enseignant à Sciences po et expert des courants pol i t i q u e s mi n o r i t a i r e s , Christophe Bourseiller décrypte la résurgence des mouvements radicaux dans la contestation sociale.
Comment expliquer les violences en marge des manifestations contre la loi Travail ? Christophe Bourseiller :
C’est une vieille tradition qui remonte à 1971, quand le Quartier latin fut pillé par de jeunes libertaires et apparentés qu’on nommait alors « provocateurs » . Ils entendaient alors dépasser l’anarchisme. Ils ont surtout jeté les bases du mouvement des autonomes. Aujourd’hui, ce sont les héritiers de ce mouvement qu’on croise en marge des manifestations, souvent lycéens, étudiants ou jeunes adultes. Leur présence est une conséquence des mouvements d’extrême gauche qui sont à la manoeuvre autour de la loi Travail et de Nuit debout. Ces groupes qui pratiquent la « casse » et s’en prennent à la police bénéficient aujourd’hui d’une certaine mansuétude de la part de l’Etat. Tandis que les débordements générés par l’extrême droite en marge de la Manif pour tous ont entraîné la dissolution de trois mouvements d’extrême droite, ici rien ne se passe, alors que la plupart des individus sont bien connus des services.
Comment opèrent ces mouvements ?
Ils évoluent en petits groupes, généralement en lien avec des squats ou des communautés. Ils visent d’abord les symboles du capitalisme. Par exemple, dans une rue, ils vont concentrer leurs destructions sur des commerces comme des banques ou des boutiques de luxe. Ils visent aussi les symboles de l’Etat, avec une certaine forme d’autisme vis-à-vis de l’opinion publique. Lors de la COP21, ils n’ont pas hésité à attaquer la police, pourtant très populaire après les attentats. Certains n’ont-ils pas utilisé comme projectiles les bougies à la mémoire des victimes ? Les groupes les plus actifs sont basés dans l’ouest de la France, en particulier dans la base arrière que constitue la ZAD de Notre-Dame-desLandes. On les croise aussi dans la jungle de Calais, proches des mouvements promigrants, ou dans les grandes villes, à travers les mouvements dits « antifas ».
A quels penseurs se réfèrent-ils ?
Ils ne sont pas des militants d’extrême gauche, mais des activistes libertaires, qui formulent une critique de gauche de l’extrême gauche. Ils se réfèrent au corpus classique des penseurs de l’anarchisme, auxquels on peut ajouter quelques auteurs plus contemporains comme Guy Debord (1), qui a alimenté leur réflexion sur une société faussement démocratique. Ils sont aussi nourris d’écologisme radical, sans compter les travaux de penseurs « radicaux », tels Giorgio Agamben (2), John Zerzan (3), Murray Bookchin (4) ou Noam Chomsky (5)