Le Point

Rencontre avec le surdoué du Québec, primé pour « Juste la fin du monde ».

- PAR VICTORIA GAIRIN

Rencontrer Xavier Dolan, c’est prendre le risque de se faire enrôler dans son cinéma intérieur. A peine assis, il vérifie d’un coup d’oeil la décoration de la pièce, l’éclairage. « Je vais me mettre plutôt ici, là vous êtes dans le bon angle. » Il compose le cadre avec ses mains. Tout est en place. A moins que cette mouche qui lui tourne autour ait décidé de gâcher la scène ? D’un coup sec, il met fin à sa course folle : « C’est ce que nous devions faire, n’est-ce pas ? C’était inéluctabl­e. » Ton dramatique, plan rapproché : l’insecte à terre, bleu et sublimé par un rayon de lumière. Le jeune prodige de 27 ans ne s’arrête jamais, et peutêtre est-ce la clé de son succès. Après l’électrisan­t « Mommy », récompensé par le prix du Jury à Cannes en 2014, il vient de remporter le Grand Prix du jury avec son magnifique « Juste la fin du monde », huis clos survolté adapté de la pièce de Jean-Luc Lagarce, qui raconte l’histoire d’une famille incapable de communique­r. Louis (Gaspard Ulliel) est venu annoncer à ses proches, qu’il n’a pas vus depuis douze ans, qu’il

Très peu de peinture, cette fois. De la photo et des idées de lumière. Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, Ari Marcopoulo­s… Je découpe, je déchire, j’assemble, je scanne, j’imprime, je relie et je tends le livret aux acteurs en leur disant : « Tiens, c’est le film » .

Xavier Dolan : Lors de sa projection, des critiques ont jugé le film « esthétisan­t ». Comment l’avez-vous vécu ?

Très douloureus­ement, car j’ai une vision très claire de ce qui est « esthétisan­t » et de ce qui est « esthétique ». Pierre et Gilles, c’est esthétisan­t, une pub de Jean Paul Gaultier, idem. Les gens pensent peut-être que je passe des heures à choisir le bon angle. Or, c’est très instinctif. Non seulement j’aime ça, mais je le fais organiquem­ent, avec plaisir. Quand je vais au cinéma, au-delà de l’histoire, je trouve très souvent le film laid. A quoi bon faire un film moche ? Certains vous diront qu’ils veulent se rapprocher de la réalité. Mais le cinéma, ça n’est jamais la réalité. Regardez « Sweet Sixteen », de Ken Loach, par exemple. Derrière cette apparence de réel se cache une véritable recherche de la beauté. Je suis dingue de photograph­ie, et ça me rend fou de regarder un film laid.

Vous faites des films pour vous venger. A qui vous en prenez-vous avec celui-là ?

Aux gens sans écoute. Aujourd’hui, on s’isole, on individual­ise tout. Chacun vit sa dérélictio­n comme il peut, mais le manque d’attention est un fléau. On s’éloigne les uns des autres et de nous-même. C’est ce que dit le film. Les personnage­s vivent des choses importante­s, mais elles restent à la surface d’euxmêmes : ils ne les voient pas, ne les entendent pas…

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