Rencontre avec le surdoué du Québec, primé pour « Juste la fin du monde ».
Rencontrer Xavier Dolan, c’est prendre le risque de se faire enrôler dans son cinéma intérieur. A peine assis, il vérifie d’un coup d’oeil la décoration de la pièce, l’éclairage. « Je vais me mettre plutôt ici, là vous êtes dans le bon angle. » Il compose le cadre avec ses mains. Tout est en place. A moins que cette mouche qui lui tourne autour ait décidé de gâcher la scène ? D’un coup sec, il met fin à sa course folle : « C’est ce que nous devions faire, n’est-ce pas ? C’était inéluctable. » Ton dramatique, plan rapproché : l’insecte à terre, bleu et sublimé par un rayon de lumière. Le jeune prodige de 27 ans ne s’arrête jamais, et peutêtre est-ce la clé de son succès. Après l’électrisant « Mommy », récompensé par le prix du Jury à Cannes en 2014, il vient de remporter le Grand Prix du jury avec son magnifique « Juste la fin du monde », huis clos survolté adapté de la pièce de Jean-Luc Lagarce, qui raconte l’histoire d’une famille incapable de communiquer. Louis (Gaspard Ulliel) est venu annoncer à ses proches, qu’il n’a pas vus depuis douze ans, qu’il
Très peu de peinture, cette fois. De la photo et des idées de lumière. Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, Ari Marcopoulos… Je découpe, je déchire, j’assemble, je scanne, j’imprime, je relie et je tends le livret aux acteurs en leur disant : « Tiens, c’est le film » .
Xavier Dolan : Lors de sa projection, des critiques ont jugé le film « esthétisant ». Comment l’avez-vous vécu ?
Très douloureusement, car j’ai une vision très claire de ce qui est « esthétisant » et de ce qui est « esthétique ». Pierre et Gilles, c’est esthétisant, une pub de Jean Paul Gaultier, idem. Les gens pensent peut-être que je passe des heures à choisir le bon angle. Or, c’est très instinctif. Non seulement j’aime ça, mais je le fais organiquement, avec plaisir. Quand je vais au cinéma, au-delà de l’histoire, je trouve très souvent le film laid. A quoi bon faire un film moche ? Certains vous diront qu’ils veulent se rapprocher de la réalité. Mais le cinéma, ça n’est jamais la réalité. Regardez « Sweet Sixteen », de Ken Loach, par exemple. Derrière cette apparence de réel se cache une véritable recherche de la beauté. Je suis dingue de photographie, et ça me rend fou de regarder un film laid.
Vous faites des films pour vous venger. A qui vous en prenez-vous avec celui-là ?
Aux gens sans écoute. Aujourd’hui, on s’isole, on individualise tout. Chacun vit sa déréliction comme il peut, mais le manque d’attention est un fléau. On s’éloigne les uns des autres et de nous-même. C’est ce que dit le film. Les personnages vivent des choses importantes, mais elles restent à la surface d’euxmêmes : ils ne les voient pas, ne les entendent pas…