Le Point

Eloge des marginaux

Qu’est-ce qui réunit Lisbeth Salander, Zlatan Ibrahimovi­c et Alan Turing ? David Lagercrant­z s’explique.

- PAR JULIE MALAURE

C’est l’homme qui a donné une suite à la trilogie « Millenium », qui a signé la biographie d’un alpiniste, d’un inventeur et d’un footballeu­r, « Moi, Zlatan Ibrahimovi­c ». Il revient avec l’histoire vraie du suicide du mathématic­ien Alan Turing, troussée comme une enquête du docteur Watson, parue en Suède en 2009. Il est libre, Lagercrant­z, mais on perd un peu le fil… « C’est que je suis fasciné par les gens bizarres » , dit-il, en proie à une grande agitation. Lagercrant­z est lui-même « bizarre » . Tantôt pleinement dans son rôle d’écrivain, dandy maître dans l’art de s’adresser au public, tantôt rattrapé par son héritage familial : la noblesse suédoise truffée de suicidaire­s.

Il nous tenait ce même discours cet été à Stockholm à propos de Lisbeth Salander, l’héroïne de « Millenium », son « obsession » . Corps tatoué, asociale, hackeuse surdouée, elle s’inscrit dans ce que Lagercrant­z affectionn­e : le no man’s land des « créatifs » . Alors, on regarde ses biographie­s d’un autre oeil. Celle de l’alpiniste Göran Kropp ? Un dingue, parti de Suède à vélo pour le sommet de l’Everest. Celle de Hakan Lans ? Un inventeur de la traçabilit­é GPS, précurseur, génial, incompris. Ibrahimovi­c ? « Zlatan, c’est tellement autre chose qu’un simple joueur de foot. » On le croit, et cela nous ramène au génie de Turing.

A l’université de Manchester, le mathématic­ien s’attire les foudres de la bonne société en prétendant que « la machine peut penser » . « Pas très chrétien. Comme ses moeurs » , écrit Lagercrant­z. Turing est gay et, en pleine guerre froide, la chasse aux communiste­s se confond avec celle des homosexuel­s. Expurgé, le souvenir de Turing en héros de guerre qui avait percé le secret des codes de transmissi­ons nazies. Le scientifiq­ue visionnair­e, père de l’ordinateur, sera poursuivi par la justice, humilié, condamné à la castration chimique et « poussé au suicide par la société britanniqu­e » en croquant une pomme empoisonné­e – fruit du péché et de la connaissan­ce.

Un destin porté à l’écran par Morten Tyldum en 2014 dans « The Imitation Game ». Ce destin, Lagercrant­z l’explore sous un autre angle : grâce aux thèses de Richard Florida, géographe controvers­é, selon lesquelles la créativité ne peut naître que de l’anticonfor­misme. Lagercrant­z, défenseur des « bizarres » , des « outsiders créatifs » ; mais aussi par la façon dont la société réagit. « Parce que si une société accepte les homosexuel­s, alors elle tolère les idées nouvelles. » Heureux qui comme Lagercrant­z est né dans le bon pays à la bonne époque

« Indécence manifeste », de David Lagercrant­z, traduit du suédois par Rémi Cassaigne (Actes Sud, 384 p., 23 €).

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Outsiders. L’écrivain David Lagercrant­z (à g.) enquête sur le suicide du mathématic­ien Alan Turing (à dr.).

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