Cataldo, le juge qui en savait trop
Parmi les coups de coeur du à la Comédie du livre de Montpellier : « Suburra ». Rencontre avec l’auteur.
Il a failli raccrocher sa robe de juge. « Trop de pression » pour l’écrivain-magistrat romain Giancarlo De Cataldo. Lorsque, fin 2014, éclate l’énorme scandale du réseau mafieux du « Monde du Milieu », surnommé « Mafia capitale », on reproche à son roman « Suburra », paru deux ans plus tôt, un caractère prophétique. Un romancier trop bien renseigné ?
Le Point : Comment votre roman s’est-il retrouvé associé à Mafia capitale ? Giancarlo De Cataldo :
Carlo Bonini [le journaliste d’investigation qui a cosigné « Suburra », NDLR] et moi avons simplement regardé autour de nous. Nous avons remarqué qu’un bon paquet de choses allaient de travers à Rome… C’est à partir de cette impression que nous avons construit un récit imaginaire. A sa sortie, en 2013, il a paru exagéré, pessimiste, voire apocalyptique. Puis l’affaire Mafia capitale, dont nous ne savions rien, a explosé, et le roman est tout à coup devenu prophétique. Un écrivain n’a pas besoin de grandchose pour percevoir ce qui se trame autour de lui.
Rome est-elle en train de sombrer ?
Au temps de « Romanzo criminale », les voyous rêvaient de devenir des bourgeois respectables. Aujourd’hui, les règles du jeu ont changé et beaucoup de bourgeois rêvent d’être des criminels, attirés par la liberté, l’esprit d’aventure et le mépris des règles. Une sorte de valorisation sociale du crime s’est opérée. Il est désormais perçu comme un parcours de réussite. Aujourd’hui, à Rome, tout est devenu une question d’argent et de pouvoir. Mais il y a désormais la cocaïne. La cocaïne est la vraie reine de la nuit romaine. Elle donne aux gens le sentiment d’être intouchables.
« Romanzo criminale », vous l’aviez écrit seul. Pourquoi être allé chercher un journaliste d’investigation, cette fois ?
Lorsque j’ai rencontré Carlo Bonini, journaliste à La Repubblica [quotidien de centre gauche, NDLR], il venait de signer le roman « Acab » (adapté lui aussi par Stefano Sollima), sur les policiers fascistes en Italie. Ça lui a donné l’occasion de côtoyer des milieux que je ne peux pas fréquenter en tant que juge. Il a des renseignements sur la rue, il connaît des endroits dans lesquels je ne peux me rendre qu’incognito.
Vous n’aviez aucun tuyau à l’ époque ?
Le roman est en partie prophétique, mais il manque pas mal de choses. Je ne savais rien de ce que certains journalistes ou autres ont pu savoir de la réalité romaine de Mafia capitale. « Suburra » est le roman d’une droite affairiste et d’une gauche distraite. Mais les affaires récentes ont démontré que la gauche est également affairiste. Et cela, je l’ignorais.
Justement, à droite, de nouveaux groupes populistes et nationalistes, comme CasaPound, prennent leur essor ; pourquoi ?
En Italie, la droite a toujours eu une présence très forte. Palmiro Togliatti, ancien chef de file des communistes, considérait l’Italie comme un pays fondamentalement de droite, mû par un fonds réactionnaire persistant. La droite a deux visages, chez nous : une version patriotique, nationaliste, conservatrice au sens traditionnel (Dieu, la patrie, la famille), et une autre, libérale et plus ouverte d’esprit, qui accepte l’idée de réforme et de modernisation. Le berlusconisme a réussi, pendant un certain temps, à réconcilier ces deux visages.
Le jeune fasciste de votre premier roman devient un parrain dans le nouveau. Le fascisme de Mussolini fait aujourd’hui des adeptes. Berlusconi joue sur cette corde. Pourrait-il incarner l’homme fort aux yeux de cette jeunesse nostalgique ?
Les Italiens aiment les hommes forts, c’est un fait. Mais ils ont tendance à s’en fatiguer vite. Et ça aussi, c’est un fait
« Suburra », de Giancarlo De Cataldo et Carlo Bonini, traduit de l’italien par Serge Quadruppani (Métailié, 480 p., 23 €).