Julliard, du « Nouvel Obs » au « Figaro »
Né en 1933, normalien, agrégé d’histoire, Jacques Julliard a mené de front plusieurs carrières : à la fois universitaire (CNRS, Institut d’études politiques de Paris, la Sorbonne, université de Vincennes, EHESS), syndicaliste (Unef, CFDT), essayiste et journaliste (« Esprit », « Le Nouvel Observateur », « Marianne », « Le Figaro »).
Partout, je défends les valeurs de république, de laïcité, d’universalisme des droits de l’homme, et le peuple tout entier, et pas seulement le peuple immigré. Ce sont des valeurs fondamentales, à mes yeux les seules, dans des sociétés multi-ethniques, à nous préserver de la guerre civile. S’il y a eu un glissement, il n’est pas de mon fait. Il vient de cette gauche, à vrai dire à peu près absente dans le peuple, mais très présente chez les bobos. Je trouve un peu violent de devoir me justifier d’être resté fidèle à mes idées. Ce sont les islamogauchistes et non moi qui s’éloignent de la gauche. Pour aller où ? Je me le demande parfois. Pour ma part, il se trouve que, dans la plupart des combats politiques de ma vie, j’ai été amené à prendre la défense des musulmans opprimés ou injustement attaqués : pendant la guerre d’Algérie, à l’Unef et en Algérie même ; plus tard en Bosnie contre Milosevic, au Darfour ensuite. Dans toutes ces batailles, je n’ai jamais trouvé d’islamogauchiste à mes côtés. Si je ne donne pas aujourd’hui dans cette radicalité rétrospective, c’est que je n’ai rien à me faire pardonner. En tout cas, j’ai bien l’intention J’y accorde beaucoup d’importance, en tout cas plus, en effet, que dans ma période Nouvel Observateur. La république, c’est le peuple qui se donne des règles à lui-même. Je l’oppose à la démocratie, qui repose sur l’opinion, qui est fluctuante. Je suis désormais convaincu qu’un régime doit être à la fois démocrate et républicain, fondé sur la souveraineté du peuple, mais aussi sur des principes que le peuple se donne à lui-même. « L’obéissance à la loi qu’on s’est à soi-même prescrite est liberté », dit Rousseau. Cette évolution, me concernant, se double d’une prise de distance avec ce qu’on a appelé la deuxième gauche. Cette deuxième gauche avait fait l’impasse sur la politique au profit de la société, je pensais jadis que c’était un rééquilibrage nécessaire. On avait seulement oublié que la politique est quelque chose de spécifique.
Vous vous êtes trompé ?
Je ne changerais rien si c’était à refaire. C’est le contexte qui a changé. Je pense que la deuxième gauche a été utile et efficace, tant qu’il y avait du grain à moudre. Quand le capitalisme acceptait de négocier avec les syndicats et l’Etat, c’était le tripartisme des Trente Glorieuses, une des périodes les plus heureuses de la République, celle où la condition des salariés a le plus progressé. Si je suis réformiste et non révolutionnaire, c’est que je pense que la réforme apporte plus aux travailleurs que la révolution. La révolution n’a jamais permis aux opprimés de prendre le dessus. La deuxième gauche, comme le gaullisme, est la nostalgie de tout le monde. Avec dix ans de retard, j’ai compris que cette période a pris fin, qu’on ne négocie plus avec le capitalisme. Au risque de vous surprendre, l’un des personnages les plus importants actuellement est Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Car la CFDT est la seule, dans un climat troublé où les gens affirment n’importe quoi, qui continue de raisonner en termes de conquête sociale.
En 1986, époque où il n’y avait déjà plus de « grain à moudre », vous annonciez dans une revue rocardienne « la fin du peuple ». En 2016, vous le glorifiez…
C’était un constat que les événements, hélas, n’ont fait que
« Si je suis réformiste et non révolutionnaire, c’est que je pense que la réforme apporte plus aux travailleurs que la révolution, qui n’a jamais permis aux opprimés de prendre le dessus. »