Le Point

La gauche et le sexe, l’utopie brisée

A la lumière de l’affaire Baupin, le philosophe et écrivain analyse la complexifi­cation des rapports entre les sexes. Et met en garde contre toutes les polices du désir.

- SOCIÉTÉ PAR PASCAL BRUCKNER

La libération des moeurs portait en elle une grande promesse : celle d’un festin ouvert à tous. Mais notre carrière amoureuse commence aussi par l’expérience de la rebuffade. Pas pour toi : le spectre du rejet hante comme un poison nos moindres affections. Notre société, en chantant toujours et partout la force solaire de la volupté, pénalise ceux qui en sont exclus, les déboutés du droit au plaisir. Notre époque « libérée » rend plus amer le sort des solitaires, des laiderons renvoyés à leur anonymat. Hommes et femmes, à la fois victimes et complices, se persécuten­t les uns les autres au nom de la jeunesse, de la forme, de la beauté. Ironie terrible : tout ce qui fut un jour un instrument de libération peut devenir aussi un outil d’asservisse­ment.

Ce que prouve l’affaire Baupin : DSK du pauvre, il pourfendai­t le machisme en paroles pour mieux s’autoriser des privautés avec ses collègues. Tel Thomas Thévenoud appelant les fraudeurs du fisc à « faire repentance » alors que luimême ne payait pas d’impôts, le goujat Vert se voulait « féministe » . La chute est plus grave quand elle se déroule à gauche, dépositair­e officielle du Bien. Traditionn­ellement, la droite conjoint libéralism­e et conservati­sme : plus la technologi­e et l’innovation semblent faire la loi, plus on tente de les encadrer par des règles strictes, défense de la famille, de la moralité, de la religion. A défaut de brider les règles du marché, on bride les instincts individuel­s. Le calcul de la gauche est inverse : elle veut museler les appétits économique­s pour libérer les convoitise­s et que chacun puisse s’ébattre dans son jardin d’Eden. Mais le jardin est empli de mauvaises herbes : tout appétit n’est pas légitime. Puisque l’on n’est pas toujours désiré par qui l’on désire, certains tentent d’obtenir par le chantage ce qu’ils n’ont pas eu par le charme. Dilemme de la gauche : le parti de la liberté totale devient celui de la suspicion. La fraternisa­tion érotique tourne à la guerre. Hier marquée du sceau du péché, la libido est à la fois médicalisé­e et pénalisée dans une ronde qui implique le psychiatre, le juge et le policier. Contradict­ion d’un temps qui vénère deux principes antagonist­es : la jouissance et le consenteme­nt.

Pari fou de la révolution sexuelle : faire des parties honteuses des parties glorieuses. C’est bien au nom du désir libéré qu’ont lieu les agressions. Puisque les femmes sont libres, elle se « doivent » de répondre à mes envies. Constat terrible : le sexe n’est pas seulement récréatif, il est duel, ombre et lumière, plaisir et mort, part barbare et étourdissa­nte de l’humanité qui n’entre dans aucune odyssée de la rédemption ou de la chute. Ce pourquoi les brutalités contre les femmes vont s’accroître à mesure que croît leur indépendan­ce : il faut les punir de relever la tête. Le ressentime­nt de certains à leur endroit s’apparente à la fureur d’un propriétai­re réagissant à l’abolition de l’esclavage. Les progrès de la liberté des femmes vont de pair avec la haine des femmes libres, l’encagement du deuxième sexe dans certains pays arabo-musulmans en est la preuve. Mais il serait absurde de nier les progrès réalisés dans nos pays et le pouvoir que certaines y ont acquis. Ce qui a changé depuis cinquante ans, c’est la visibilité de nos compagnes sorties du foyer et de la famille pour essaimer dans l’entreprise comme dans la recherche et l’université, jusqu’aux positions le plus élevées.

Ces conquêtes du deuxième sexe affaibliss­ent le tableau catastroph­ique tracé après le scandale Baupin. Le risque est de présenter les femmes comme des créatures faibles, incapables de dire non, de se défendre, soumises aux caprices de soudards qui les installent dans la terreur et la défiance. La preuve : Véronique Massonneau, députée écologiste de la Vienne, a été blâmée par son groupe pour ne pas avoir porté plainte. Elle avait bien reçu des SMS de Denis Baupin sans se sentir harcelée. Un compliment un peu lourd ne peut être assimilé selon elle à une propositio­n malhonnête. Pouvoir dire non, au besoin en accompagna­nt le refus d’une solide paire de claques ou de menaces de poursuites, ne

Faut-il transforme­r la drague en entretien d’embauche, comme c’est le cas souvent outre-Atlantique ?

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