Le Point

Le révoltisme ?

La révolte est différente du nord au sud. Et a aujourd’hui perdu de sa substance.

- CHRONIQUE PAR KAMEL DAOUD

La révolte semble aujourd’hui quelque peu déclassée. Elle subit le contrecoup de son époque et provoque plus la méfiance que l’enthousias­me : Nuit debout se voit opposer journée assise, à regarder, de loin, assis sur un sofa ou à la terrasse, ou le fatalisme post-Eglise. La révolte avait pour « corps » le vêtement à l’époque des dandys. Ou le corps à l’époque des années 70. Ou l’Inde face au consuméris­me. Ou la place publique au moment des printemps « arabes ». Au sud du monde, elle a pour espace la mer aussi : on la traverse pour échapper aux siens, à la terre sèche ou à la nation qui mange ses enfants. Au nord, elle se réfugie entre le piercing, le tatouage ou le rassemblem­ent bon enfant qui vire au désordre quelques nuits plus tard. La Bastille est un selfie et le soulèvemen­t est une nuit blanche. Le système semble avoir infantilis­é les révoltés et réduit la révolte à sa caricature fleurs et guitares.

C’est que se soulever, c’est « agiter », désormais. La révolte du groupe, qui veut opposer « indignez-vous » à « asseyez-vous », a perdu de son lustre. Dans le monde agité et surpeuplé, elle fait peur et fait tanguer un peu trop la chaloupe mondiale. De son sens de renouveau et de droit à se décarcasse­r elle retombe très vite, aujourd’hui, dans l’agitationn­isme : elle prend le sens d’une menace plébéienne (appelée avec politesse extrême gauche ou mouvements sociaux) et fait peur. Son esthétique s’est appauvrie pour devenir un « tournons en rond, joyeusemen­t ! » : on est passé du manifeste au rassemblem­ent épuisé ou égrillard dans les places publiques. De la transgress­ion au selfie. Elle a cédé à une sorte d’adolescenc­e qui la vide de sa propositio­n à renouveler le monde. Elle manque de maturité et ses détracteur­s peuvent la démanteler avec le sourire comme on le fait d’un bouquet de fleurs qui se prend pour un drapeau. Les oeillets ne font plus la révolution, mais seulement la sensation, donc. On la visite, à ses premiers jours, pour en éprouver l’âge, puis on la quitte et on s’en désintéres­se parce qu’elle n’ira pas plus loin que trois jours de veille.

Résumons : la révolte a contre elle l’ordre qui signifie sécurité. Au sud, dans le monde dit « arabe », la révolte et la révolution font peur comme la mort. On sait qu’elle, la révolte, a raison, mais on la vit comme un tort en soi. On préfère le dictateur à l’agitateur. Malheureus­ement. Et au nord ? La révolte s’est épuisée dans le flou artistique. On en démonte facilement la revendicat­ion avec la photo d’une voiture brûlée. Au plus profond, les révoltes dites « arabes » n’ont pas servi à en lustrer l’image d’ailleurs : aujourd’hui, le nord a lui-même peur de la révolution, car elle signifie fascisme ou même émeutes. L’homme révolté n’est qu’un adolescent survolté. Même si ce n’est pas toujours vrai.

Faut-il donc s’asseoir et faire son choix entre la banderole et la télécomman­de ? Oui, si on veut se coucher tôt, se lever tôt et rejoindre les rangs stricts du fordisme de son périmètre. Le monde sans révolte, il lui manquera cependant toujours quelque chose. Une hormone ou une barricade. Le souci est que la révolte aujourd’hui semble être cernée par la police, la peur des riverains agacés et la méfiance de ceux qui attendent le changement. Le monde est une scène de selfies et la révolte y prend les allures d’une pose, pas d’une résistance. Alors, on la regarde puis on attend quelle s’épuise. A Nuit debout on opposera nuit de noces, nuit d’amour, nuit d’insomnie ou nuit de garde ou nuit de famille.

Donc ? L’homme révolté est surtout un homme seul, pas un groupe. Belle impasse militante, cependant. Au sud, il professera la dissidence. Mais au nord ? Il se barricader­a dans la lucidité. Dans une version du mythe biblique, on raconte l’épopée de Noé et sa révolte qui aboutit à l’Arche, on racontera le déluge et son sens de monde lavé/renouvelé, mais on oublie un personnage : le fils qui refusera et ira s’asseoir au sommet d’une montagne. Il mourra. Sublimemen­t inutile

Le monde est une scène de selfies et la révolte y prend les allures d’une pose, pas d’une résistance.

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