Le Point

Avec le double assassinat de policiers à leur domicile, la France entre dans une nouvelle ère du terrorisme.

- PAR ÉMILIE LANEZ, MARC LEPLONGEON ET AZIZ ZEMOURI

Mathieu a 3 ans. Il commence à parler, quelques mots, des phrases simples. Si nous ne vivions pas dans un pays en guerre, à la prochaine rentrée des classes, le garçon aurait été fier de son papa, policier, et de sa maman, policière elle aussi. Dans la cour de la maternelle Les Marronnier­s, à Magnanvill­e, dans les Yvelines, les gamins auraient roulé des yeux comme des billes. Fils de deux policiers, trop fort, Mathieu. Dans le salon du pavillon familial, derrière la haie de thuyas taillés, le petit garçon a souvent la permission d’attendre son père, le commandant Jean-Baptiste Salvaing, 42 ans, adjoint au chef de la sûreté urbaine au commissari­at des Mureaux. Lové dans le canapé, il guette le bruit de la porte d’entrée. Jessica, sa mère, 37 ans, est adjointe administra­tive principale de 2e classe au commissari­at de Mantes-la-Jolie, une policière très bien notée. Originaire du Blanc-Mesnil, elle est arrivée voilà huit ans dans ce commissari­at, où elle a rencontré Jean-Baptiste. Un type comme elle, bien dans sa tête, sportif, sérieux. Ses horaires de travail étant réguliers, il est convenu entre les jeunes parents que c’est elle qui la première rentre le soir, donne le bain, fait dîner Mathieu, puis l’aide à patienter jusqu’à ce que son père revienne, enfin.

Ce lundi 13 juin, Jessica Schneider ignore qu’elle est suivie depuis son départ du commissari­at. Larossi Abballa a effectué des repérages et observé ses déplacemen­ts. Selon une version non encore confirmée par le parquet, quand elle rejoint son domicile, Mathieu dans les bras, le suiveur s’engouffre. Il est jeune, il tient dans la main un couteau et égorge Jessica. Un coup dans le cou. Depuis 2011, l’assassin s’est exercé à poignarder. Avec une bande de sept ou huit délinquant­s apprentis djihadiste­s, il se soumet à un entraîneme­nt physique rude. Au coeur des bois de Cormeilles-en-Parisis, leurs séances s’achèvent en attrapant des lapins qu’ils égorgent, rôtissent puis mangent en rêvant de rejoindre une terre de djihad. Ce lundi, à Magnanvill­e, il fait encore jour à 20 heures passées, et Larossi Abballa pose Mathieu sur le canapé. L’enfant ne pleure pas, l’enfant ne bouge pas, il observe cet inconnu. Le garçon a-t-il vu sa mère mourir ? L’a-t-il entendue crier ? Sait-il qu’il ne la reverra plus jamais ? Mathieu doit songer que ce soir rien n’est comme à l’ordinaire dans sa maison, mais, quand papa arrivera, les choses iront mieux. Papa est policier, il attrape les méchants. Justement, Jean-Baptiste Salvaing entre. Abballa se jette sur lui et le frappe neuf fois à l’abdomen. Le commandant de police se débat, il parvient à s’échapper. Blessé, il ouvre la porte, court vers la rue, calme à l’heure du dîner, il s’écroule. Il est mort. Cette bataille, ces cris, Mathieu les a vus, entendus. Quinze minutes plus tard, alerté par des voisins ayant vu le commandant de police agoniser, le Raid encercle la maison et évacue les alentours.

Dans le salon, Larossi Abballa consulte, depuis son téléphone portable, son compte Facebook live. Il aime bien partager ses pensées sur ce site, où les vidéos sont diffusées en direct. Voilà peu, souriant, coiffé d’un bonnet de laine noire, il s’est enregistré : « Salam aleikoum, salut, les Terriens » – il commence toujours ainsi, un peu d’islam et de Thierry Ardisson – puis il a exposé son propos du jour ; ses clients ne sont pas très aimables, certes, il ne demande pas qu’on l’invite à dîner – éclats de rire –, mais, tout de même, « un bonsoir, un merci, ce ne serait pas trop demander, non ? » Larissa Abballa a monté son entreprise de restaurati­on rapide. Dr Food78 livre à domicile des plats halal. Il en est l’unique gérant et employé, la société est domiciliée chez son père, à Mantes-la-Jolie, là où travaillai­t Jennifer Schneider. Un

« Qu’est-ce que je vais faire de l’enfant maintenant ? »

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