Le Point

« Les radicaux se sentent menacés de souillure »

Pour le psychanaly­ste Fethi Benslama, c’est le fantasme de la pureté qui conduit les islamistes intégriste­s à passer à l’acte.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CATHERINE GOLLIAU ET CLÉMENT PÉTREAULT

Le Point : Pourquoi les homosexuel­s sont-ils une cible des djihadiste­s ? Fethi Benslama :

Pour la plupart des radicaux religieux, tout ce qui n’entre pas dans l’hétérosexu­alité normative est le mal et ne saurait être toléré. Souvenez-vous de la revendicat­ion des attentats du 13 novembre, elle i nvoquait la purificati­on de la perversion. Ce qui s’est passé à Orlando ressemble beaucoup à ce qui a eu lieu au Bataclan. Cette attaque d’une boîte gay a été commise par un individu qui entendait purifier le monde des pervers. Il n’est pas sûr que ce massacre ait été commandité d’avance par Daech ; ce sont des individus détraqués qui rattachent leur acte fou à la stratégie de la privatisat­ion du djihadisme.

Pourquoi cette recherche obsessionn­elle de la pureté ?

C’est un fantasme fondamenta­l chez tous les radicaux religieux. Ces derniers se sentent, en permanence, menacés de souillure, celle du corps, mais aussi des idées. Penser par soi-même est une corruption qu’il faut chasser par la vertu de formules fixes. Fethi Benslama Psychanaly­ste et professeur à l’université Paris-Diderot, auteur d’« Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulma­n » (Seuil).

Les radicaux qui deviennent djihadiste­s et font le choix extrême de la mort souffrent-ils de problèmes psychologi­ques ?

Pas tous, mais certains, oui. Sur ce point, je ne suis pas d’accord avec la thèse du psychiatre américain Marc Sageman, devenue un dogme, qui prétend que les djihadiste­s n’ont pas de troubles psychopath­ologiques. Les expertises faites sur certains jeunes radicalisé­s montrent qu’il faut se garder de toute généralisa­tion sur leur état, au profit des parcours. Il y a de tout parmi eux, même si la plupart sont responsabl­es de leurs actes. Il ne s’agit pas d’idiots non plus, comme certains l’ont dit. Néanmoins, lorsque quelqu’un est fanatisé, il parle comme un automate, en boucle, il escamote sa singularit­é pour se débarrasse­r de ses tourments ; il paraît plus bête qu’il ne l’est en réalité.

Pourquoi embrasser l’islam rigoriste, selon vous ?

La démarche est différente selon les types de convertis, même si certains aspects sont communs. Les « born again », ceux qui viennent d’une famille d’origine musulmane sécularisé­e, sont dans un processus de réidentifi­cation à des références que leurs parents ont abandonnée­s. Ils vivent cela comme une défection à réparer, afin de se régénérer et de pouvoir faire face à leurs angoisses. Pour ceux qui proviennen­t de familles non musulmanes, il s’agit plutôt d’une quête de sens, d’idéaux et d’engagement­s forts.

Dans les deux cas, ce sont souvent des jeunes isolés, parfois en errance, en mal d’appartenan­ce à un groupe social structuran­t. Ainsi, plusieurs jeunes radicalisé­s voulaient entrer dans l’armée ou dans la police, mais n’ont pas été acceptés. Dans le cas d’Omar Mateen, l’auteur de l’attentat d’Orlando, il travaillai­t dans une société de sécurité. Ces individus ont besoin d’être fixés dans une croyance solide, enveloppés par une communauté qui leur permet de s’enraciner et d’être reconnus. Le salafisme leur offre cet abri à travers une foi qui ne connaît pas le doute, des règles strictes pour tous les aspects de la vie. Beaucoup éprouvent des sentiments de rabaisseme­nt, de honte et de préjudice. Ils s’identifien­t à ceux des musulmans qui se considèren­t

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