« Les radicaux se sentent menacés de souillure »
Pour le psychanalyste Fethi Benslama, c’est le fantasme de la pureté qui conduit les islamistes intégristes à passer à l’acte.
Le Point : Pourquoi les homosexuels sont-ils une cible des djihadistes ? Fethi Benslama :
Pour la plupart des radicaux religieux, tout ce qui n’entre pas dans l’hétérosexualité normative est le mal et ne saurait être toléré. Souvenez-vous de la revendication des attentats du 13 novembre, elle i nvoquait la purification de la perversion. Ce qui s’est passé à Orlando ressemble beaucoup à ce qui a eu lieu au Bataclan. Cette attaque d’une boîte gay a été commise par un individu qui entendait purifier le monde des pervers. Il n’est pas sûr que ce massacre ait été commandité d’avance par Daech ; ce sont des individus détraqués qui rattachent leur acte fou à la stratégie de la privatisation du djihadisme.
Pourquoi cette recherche obsessionnelle de la pureté ?
C’est un fantasme fondamental chez tous les radicaux religieux. Ces derniers se sentent, en permanence, menacés de souillure, celle du corps, mais aussi des idées. Penser par soi-même est une corruption qu’il faut chasser par la vertu de formules fixes. Fethi Benslama Psychanalyste et professeur à l’université Paris-Diderot, auteur d’« Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman » (Seuil).
Les radicaux qui deviennent djihadistes et font le choix extrême de la mort souffrent-ils de problèmes psychologiques ?
Pas tous, mais certains, oui. Sur ce point, je ne suis pas d’accord avec la thèse du psychiatre américain Marc Sageman, devenue un dogme, qui prétend que les djihadistes n’ont pas de troubles psychopathologiques. Les expertises faites sur certains jeunes radicalisés montrent qu’il faut se garder de toute généralisation sur leur état, au profit des parcours. Il y a de tout parmi eux, même si la plupart sont responsables de leurs actes. Il ne s’agit pas d’idiots non plus, comme certains l’ont dit. Néanmoins, lorsque quelqu’un est fanatisé, il parle comme un automate, en boucle, il escamote sa singularité pour se débarrasser de ses tourments ; il paraît plus bête qu’il ne l’est en réalité.
Pourquoi embrasser l’islam rigoriste, selon vous ?
La démarche est différente selon les types de convertis, même si certains aspects sont communs. Les « born again », ceux qui viennent d’une famille d’origine musulmane sécularisée, sont dans un processus de réidentification à des références que leurs parents ont abandonnées. Ils vivent cela comme une défection à réparer, afin de se régénérer et de pouvoir faire face à leurs angoisses. Pour ceux qui proviennent de familles non musulmanes, il s’agit plutôt d’une quête de sens, d’idéaux et d’engagements forts.
Dans les deux cas, ce sont souvent des jeunes isolés, parfois en errance, en mal d’appartenance à un groupe social structurant. Ainsi, plusieurs jeunes radicalisés voulaient entrer dans l’armée ou dans la police, mais n’ont pas été acceptés. Dans le cas d’Omar Mateen, l’auteur de l’attentat d’Orlando, il travaillait dans une société de sécurité. Ces individus ont besoin d’être fixés dans une croyance solide, enveloppés par une communauté qui leur permet de s’enraciner et d’être reconnus. Le salafisme leur offre cet abri à travers une foi qui ne connaît pas le doute, des règles strictes pour tous les aspects de la vie. Beaucoup éprouvent des sentiments de rabaissement, de honte et de préjudice. Ils s’identifient à ceux des musulmans qui se considèrent