Le Point

Il a fait fortune avec des boulons

L’Allemand Reinhold Würth est un entreprene­ur hors norme. Portrait.

- PAR PASCALE HUGUES, ENVOYÉE SPÉCIALE À KÜNZELSAU

Quand Reinhold Würth, 81 ans, bronzé, veste de tweed fin, pochette rouge assortie à la cravate, revient après plusieurs mois de croisière à bord de son yacht de 85 mètres dans le golfe du Bengale, il prend soin de saluer les employés qu’il croise dans les couloirs. « Tout le monde se réjouit de mon retour, et moi aussi » , déclare ce retraité qui passe encore une partie de l’année à travailler au siège du groupe Würth. Certains le tutoient. « Nous nous connaisson­s depuis si longtemps » , ajoute l’homme, qui aime raconter qu’il déjeune parfois à la cantine et fait la queue, « comme tout le monde ».

Presque « comme tout le monde » … Car Reinhold Würth est, selon le classement établi par le magazine Forbes, la 12e fortune d’Allemagne, la 141e au monde (avec un patrimoine évalué à 9,3 milliards de dollars) et l’un des plus grands collection­neurs privés d’art en Europe. Une fortune construite dans le commerce en gros de la vis, de l’écrou et d’une large palette de matériel de fixation pour profession­nels, du bâtiment à l’automobile. La société Würth, PME familiale allemande devenue géant du s e c t e ur, r é al i s e aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de plus de 11 milliards d’euros ! « J’ai travaillé toute ma vie dix à quinze heures par jour, sept jours sur sept » , dit-il avec fierté. Quel que soit l’endroit où il se trouvait dans le monde, Reinhold Würth a longtemps exigé de vérifier tous les matins le chiffre d’affaires de la veille. Aujourd’hui, « une fois par semaine me suffit » , confie-t-il en balayant d’un regard bleu perçant les vallonneme­nts de cette région prospère du sud de l’Allemagne. Le siège social et les immenses us i ne s d u g r o upe Würth s e trouvent à Künzelsau (15 000 habitants), au nord-est de Stuttgart. Chaque jour, 40 000 paquets de vis quittent les établissem­ents Würth, où travaillen­t 700 employés qui approvisio­nnent le marché allemand. « Si on retirait toutes les vis, le monde entier s’écroulerai­t » , plaisante Reinhold Würth.

Reinhold a 10 ans quand son père, Adolf Würth, crée, en juillet 1945, son entreprise de fabricatio­n de vis et de boulons. Il retire son fils de l’école à 14 ans. « Mon père savait que les études me conduiraie­nt vers une voie sans issue, comme c’est d’ailleurs souvent le cas aujourd’hui… Nous sommes en train de fabriquer un prolétaria­t intellectu­el alors que nous manquons d’apprentis » , commente ce patron qui a dirigé jadis l’Institut d’entreprene­uriat de l’université de Karlsruhe. Reinhold Würth suit un long apprentiss­age d’employé de commerce dans la société familiale, qui compte alors un unique autre salarié. Quand son père meurt d’une crise cardiaque à la veille de Noël 1954, Reinhold a 19 ans et reprend seul les rênes. Il cultive la relation personnell­e au client, met un point d’honneur à établir un climat de confiance.

200 sociétés rachetées. La société de commerce en gros Würth surfe sur la vague du miracle économique d’après-guerre. En 1962, la première filiale est ouverte aux Pays-Bas. Une autre, trois ans plus tard, en Autriche, puis l’entreprise part à la conquête des EtatsUnis. Reinhold Würth diversifie son activité en rachetant plus de 200 sociétés. Le groupe, qui a fêté son 70e anniversai­re l’an dernier, est présent dans plus de 80 pays et possède un large portefeuil­le de clients : constructe­urs automobile­s, serruriers, entreprise­s dans le domaine des sanitaires et de l’électrique, menuisiers, fabricants de fenêtres, etc. Le catalogue des produits Würth offre 125 000 références. Aujourd’hui, son blason, une tête de vis rouge sur fond blanc, est omniprésen­t dans toutes les zones commercial­es d’Allemagne.

Dès les années 80, Reinhold Würth entre dans le club des

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