Le Point

Chirac, homme du monde

Le musée du Quai-Branly fête ses 10 ans avec une exposition consacrée à l’inlassable promoteur des arts premiers.

- PAR MARC LAMBRON, DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

C’est un masque de scène de l’époque Edo, les XVIIe et XVIIIe siècles japonais. L’expressivi­té, les méplats fortement accusés, le rictus de fauve en campagne, mais aussi cette sagesse rentrée que le passage du temps donne aux visages des hommes. Autant d’éléments qui convergent vers un stupéfiant constat : une main a façonné dans un archipel lointain, à l’époque de Louis XVI, une effigie de théâtre qui épouse à s’y méprendre les traits de Jacques Chirac, né en 1932 à Paris. Comme si l’histoire des civilisati­ons contenait, en un vertige borgésien, la promesse d’un fut u r q u e n o u s c o n t e mp l o n s aujourd’hui comme la cristallis­ation de plusieurs passés…

L’ancien président est attendu quai Branly pour inaugurer l’exposition « Jacques Chirac ou le dialogue des cultures ». Elle célèbre les 10 ans d’un musée qui va bientôt être rebaptisé de son nom. Au miroir des objets le visiteur nourrira-t-il d’autres pensées que celles qu’il est convenu d’agiter lorsque l’on évoque le cinquième président de la Ve République ? Cul des vaches, Corrèze, « abracadabr­antesque »… Dans ce labyrinthe du temps concret qu’est l’exposition, parmi les poupes de pirogue et les masques inuits, les couronnes tupis et les amulettes dogons – 150 pièces, sculptures, peintures, et de multiples documents –, il reconnaîtr­a sans doute les « Rosebud » d’une psyché polychrome, torsadée, moderne – plus du côté de Picasso que de Meissonier. La malice du commissair­e de l’exposition, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, y a ajouté quelques emblèmes d’un roman personnel roboratif et terrien, tels une tête d’Apollon retrouvée en Corrèze et un accordéon de Jean Ségurel, l’auteur de la chanson « Bruyères corrézienn­es ». Cette addition d’objets, anciens ou contempora­ins, où la faveur du hasard semble servir l’enchanteme­nt de l’oeil, composerai­t-elle le blason d’un homme célèbre et inconnu, tramé de logiques dérobées et de pudeurs inaperçues ? Jacques Chirac, ne serait-ce que ce que l’on veut en retenir, le jambon-beurre et les sumos, la Corona et les Bambaras ? Dans cette exposition où la célébratio­n rejoint l’esprit de justice émerge la continuité d’une vie qui ne recueillit longtemps que des éloges parcimonie­ux. Un côté Vanuatu à Sarran qui a son pittoresqu­e, certes. Mais, aussi, la révolte de l’ancien étudiant communiste qui, plus tard, accueiller­a à Paris le chef brésilien Raoni Metuktire, chef des Amérindien­s Kayapo, sera à l’origine, en 1994, de l’exposition consacrée aux Indiens Taïnos du Petit Palais, imposera au Louvre le départemen­t des arts de l’Islam et le pavillon des Sessions – ébauche du futur musée du Quai-Branly –, pour déclarer en 2002 au sommet de la Terre, à Johannesbu­rg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Voilà un chef d’Etat dont le Gaston Gallimard se nommait Jean Malaurie, fondateur de la collection « Terre humaine » chez Plon. Voilà un hussard cambré qui organisa, panache au vent, le transfert des cendres du quarteron Alexandre Dumas au Panthéon. Ce n’est pas d’aujourd’hui que Françoise Giroud notait que Chirac, au rebours de nombre d’hommes politiques, est du genre à cacher un recueil de poésies de Saint-John Perse dans un numéro de Playboy. Et dire que l’intéressé se targuait de n’aimer que

 ??  ?? Totémique. Rapporté à la fin du XIXe siècle par l’ethnologue Georges Labit, ce masque japonais du XVIIIe siècle, conservé à Toulouse, amusait beaucoup Chirac, selon JeanJacque­s Aillagon.
Totémique. Rapporté à la fin du XIXe siècle par l’ethnologue Georges Labit, ce masque japonais du XVIIIe siècle, conservé à Toulouse, amusait beaucoup Chirac, selon JeanJacque­s Aillagon.

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