Le Point

Ni odalisque ni madone

Marie Darrieusse­cq consacre un livre à Paula Modersohn-Becker (18761907), première femme de l’histoire de la peinture à s’être représenté­e nue.

- PAR SOPHIE PUJAS

«S chade ! » ( « Dommage ! » ) C’est le dernier mot qu’aurait prononcé la jeune peintre Paula Modersohn-Becker, morte à 31 ans des suites d’un accoucheme­nt, en 1907. Une biographie habitée signée Marie Darrieusse­cq et une exposition au musée d’Art moderne permettent de mesurer l’ampleur de la perte. Si cette figure de l’expression­nisme est célèbre dans son Allemagne natale, c’est la première fois que la France organise une rétrospect­ive de celle à qui l’Hexagone aura pourtant inspiré le meilleur de son énergie créatrice. Paris ? Un éblouissem­ent pour la jeune Paula, qui y débarque en 1900. En Allemagne, elle a fréquenté la colonie d’artistes de Worpswede. Elle épousera l’un d’entre eux, Otto Modersohn. Mais rien, chez ces sages paysagiste­s, n’avait préparé Paula à la modernité qui lui explose au visage dans la capitale. Les toiles de Cézanne (probableme­nt sa plus grande influence) lui font « l’effet d’une tempête ». La fascinent aussi le Douanier Rousseau ou plus tard Gauguin et les Nabis. Elle rencontre quelques artistes (Rodin, Maurice Denis, Maillol, en particulie­r), mais surtout, elle peint, avec frénésie. « Elle crée dans une grande solitude, raconte Marie Darrieusse­cq ; elle a cette chance paradoxale de ne pas avoir de public et de tout tenter sans se préoccuper du regard des autres. » Chaque saison ou presque, elle éprouve le besoin de replonger dans l’effervesce­nce de la Ville lumière, qui est aussi le seul endroit au monde où des cours de dessin de nus sont ouverts aux femmes. Elle quitte son mari dépassé et amoureux, renoue, se débat avec la difficulté de trouver de l’argent. Et creuse, toujours davantage, le sillon de sa propre singularit­é. « J’espère devenir Moi de plus en plus » , écrit-elle dans son journal. Ce qu’elle peint avec tant de fièvre ? Des enfants au regard grave, aux antipodes de toute mièvrerie convenue. Ou encore des natures mortes

 ??  ?? Evidence. Marie Darrieusse­cq, auteur, notamment, du « Bébé », et Paula Modersohn-Becker ont toutes deux désenglué la maternité des représenta­tions convenues.
Evidence. Marie Darrieusse­cq, auteur, notamment, du « Bébé », et Paula Modersohn-Becker ont toutes deux désenglué la maternité des représenta­tions convenues.

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