Le Point

Sourire avec Mme Marang

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

C ’est

dans le noble lignage des jongleurs de mots – de Jules Renard à Alphonse Allais, de Pierre Dac à Michel Audiard ou Louise de Vilmorin – qu’il conviendra d’inscrire le petit ouvrage rigolard de Mme Marang – dont le patronyme signale déjà l’inclinatio­n à la plaisanter­ie.

Des aphorismes de geisha (« Soigner le mâle par le bien »), des calembours plus ou moins pervers (« Sa maîtresse est une Domina triste »), des saillies de conversati­on (« Cette amoureuse est une héroïne en manque »), des méditation­s de haute volée (« Renaître nous rend d’or »), ainsi que nombre d’holorimes, de gags verbaux, de tête-à-queue ou à claques, y balisent un credo où, par principe, rien ne sera pris au sérieux. Ici, on babille par plaisir, on tend l’oreille au mot-valise qui en dit long, on surfe sur la métaphore, on glisse sur le toboggan des lapsus. Mme Marang – dont « les désirs sont désordre » – exige que l’on s’amuse en la lisant. Dociles, nous obéirons…

Sur le fond, cette femme de lettres est une originale : à l’en croire, elle aurait pu militer pour que les enfants de divorcés obtiennent la garde alternée de leurs parents ; et se serait souvent moquée des « goys de cour » tout en se rendant coupable, par pure ambition, de quelques « crimes de lèche-majesté ». Ayant cheminé « contre vents et maris » parmi des « ennemis fidèles » et des mondaines aux « visages de haute couture », elle semble mûre, désormais, pour une certaine forme de sagesse : pas sage, avide (entendez-vous ce passage à vide ?) de nonsense, forte de ses flatteuses relations avec quelques académicie­ns bronzés (« Hâlés, les verts ! »), elle s’est tôt persuadée que « mieux valait un bon mot qu’une mauvaise phrase ».

D’où sa drôlerie concise, ses embardées en forme de haïkus, ses verdicts sur la coquetteri­e ( « Elle est si frivole qu’on ne sait pas si ses jumeaux ont le même père » ), sur ses contempora­ines (Ah, cette « roulure de printemps » !) et ses envolées sentimenta­les (« Je vis pour vous retrouver, je vous retrouve pour vivre ») ou sensuelles (« Merci pour ce don d’orgasmes ! ») . Finalement, il ressort que cette femme – qui adore gagner ses parties d’échecs et qui se fiche de rater ses réussites – mérite sans conteste de solliciter son admission au CME (Club des moralistes d’envergure). Les aînés mentionnés au début de cette chronique se réjouiront alors de l’accueillir avec les égards par eux réservés aux gens de leur monde « Dans tous les sens », de Delphine Marang (Stock, 184 p., 15 €).

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Delphine Marang.

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