Le Point

Le bloc-notes

Orlando : gays en première ligne

- De Bernard-Henri Lévy

La tuerie d’Orlando, qui, à l’heure – lundi soir – où j’écris ces lignes, a déjà fait 49 morts, pose au moins trois questions. 1. Celle, une fois de plus, des armes de guerre en vente libre sur l’essentiel du territoire des Etats-Unis. Jusqu’à quand faudra-t-il rappeler que la possession d’un fusil d’assaut continue d’être considérée, par une majorité d’Américains, comme un droit de l’homme et du citoyen, défini et codifié comme tel par le deuxième amendement de la Constituti­on ? qu’il y a 300 millions d’armes à feu détenues par des particulie­rs à qui les Charlton Heston, les Wayne LaPierre et tous les autres dirigeants de la toute-puissante National Rifle Associatio­n serinent depuis des décennies qu’il n’existe pas de meilleur moyen de se protéger et de protéger les siens ? et sait-on que des fusils-mitrailleu­rs AR-15 du type de celui qui a servi à la tuerie et dont étaient équipés les vétérans des guerres d’Afghanista­n et d’Irak, il s’en est vendu, d’après CNN, un million et demi depuis cinq ans et sait-on que, dans la plupart des Etats, il suffit, pour acquérir une de ces armes lourdes, d’avoir 18 ans, un casier judiciaire vierge et pas de maladie mentale trop visible ? Le président Obama l’a dit et répété. Tous les Américains raisonnabl­es en sont persuadés. Il y a là un arsenal invisible mais légal. Une bombe à retardemen­t connue de tous. Il y a là une arme, à la fois miniaturis­ée et de destructio­n massive, dont on n’a pas fini de sentir l’onde de choc. Face à l’évidence de cette arme, la question n’est pas de savoir s’il y aura ou non d’autres tueries du type de celle d’Orlando. Il y en aura, bien sûr. Il y en aura inévitable­ment. La seule question est, hélas, et selon la formule consacrée, de savoir où et quand.

2. Le problème de l’islamisme radical et de la guerre sans frontières qu’il a déclarée au monde. On peut gloser tant que l’on voudra sur le thème du « loup solitaire » tombé dans le terrorisme comme on tombe de son lit. On peut écouter et réécouter en boucle les éternels témoignage­s des amis et connaissan­ces assurant qu’ils n’ont rien vu venir, rien de rien, que c’était un bon garçon, gentil avec ses voisins, sans histoires ni importance particuliè­re. On peut s’amuser de ce régime de revendicat­ion étrange (quoique pas si nouveau qu’on veut bien le dire : les Brigades rouges fonctionna­ient déjà ainsi…) qui fait que l’Etat islamique a attendu, avant de signer le massacre, que l’assassin lui-même ait appelé le 911 qui est, aux Etats-Unis, le numéro des urgences et des secours, pour formuler sa demande d’affiliatio­n et, au fond, de labellisat­ion. Il reste que l’homme a bel et bien fréquenté une mosquée, celle de Fort Pierce, à 200 kilomètres d’Orlando, où il a pu rencontrer des éléments radicalisé­s. Il reste que, de cette mosquée, est sorti au moins un autre Américain parti se battre, et se faire exploser, en Syrie. Et l’on a là une nouvelle preuve de ce que j’avançais, dès mon livre sur Daniel Pearl et sur l’implantati­on, en territoire américain, des sectes d’obédience pakistanai­se sur lesquelles l’héroïque journalist­e du Wall Street Journal enquêtait au moment de son enlèvement puis de sa mort : les Etats-Unis ne sont pas plus protégés que d’autres du djihadisme ; ils sont, non moins que l’Europe, terre de mission pour l’islamisme fanatique et assassin ; et, au lieu de répéter comme des disques rayés l’éternel « ça n’a rien à voir avec l’islam », il serait temps d’admettre qu’ils sont un autre théâtre où se joue la bataille des deux islams – celui des radicaux et celui des Lumières et du droit.

3. La question, enfin, de l’homophobie et de la violence contre les gays. L’on ne compte plus, aux Etats-Unis, le nombre d’Etats qui font procès à l’administra­tion Obama d’une législatio­n jugée exagérémen­t gay friendly, et le bain de sang d’aujourd’hui peut d’ailleurs y être vu comme le dernier épisode en date de la séquence ouverte, en 1973, avec l’incendie de cet autre club, à La Nouvelle-Orléans celui-là, qui s’appelait l’UpStairs Lounge et où furent brûlés vifs 32 hommes dont le seul crime était d’être gays. Aucune législatio­n pro-mariage pour tous ou antidiscri­mination ne semble devoir empêcher, en Europe, que « casser du pédé », appeler à les « exterminer » et à les « passer au four » ou, quand on est bien luné, à les « soigner », demeure l’un des exercices de conviviali­té les plus populaires sur les réseaux dits sociaux et, parfois, dans la vraie société. Et je ne mentionne que pour mémoire le cas de la Russie, où il n’a jamais été si difficile d’être LGBT qu’en ces temps de poutinisme triomphant où des associatio­ns de citoyens piègent, humilient, obligent à boire leur urine, frappent publiqueme­nt et, parfois, tuent celles et ceux que le ministre russe de la Santé a récemment qualifiés de « malades mentaux ». Ce que nous rappelle la tuerie d’Orlando, c’est que les gays sont aussi, et comme tels, au nombre des cibles légitimes du djihadisme mondialisé. Il y a les juifs. Les chrétiens. Il y a les blasphémat­eurs (quand on fait partie des « croisés ») ou les apostats (quand on est né musulman). Eh bien, à cette liste nécropolit­ique il faut, plus que jamais après Orlando, ajouter ces homosexuel­s auxquels les manuels d’inquisitio­n de Daech ont déclaré la même guerre sans merci : là-bas, sous le régime du prétendu Califat, jetés du haut d’un toit, enterrés vivants, lapidés, torturés, mutilés – ici, en terre de mission, passés au peloton d’exécution, mitraillés

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