Le vrai visage de Daech
Une étude américaine, fondée sur des données du groupe terroriste, décrit le profil des djihadistes. Eclairant.
Tout le monde s’en sera rendu compte, les experts en radicalisation se sont multipliés depuis les attentats du 13 novembre. Chacun a son idée sur les causes qui conduisent des individus à commettre des meurtres terroristes. L’un de ces commentateurs, Geoffroy de Lagasnerie, un sociologue, a même cru pouvoir affirmer que, si des terrasses ont été attaquées, c’est qu’elles représentent une violence sociale pour ces jeunes assassins : « Des lieux les plus intimidants qui soient, pour les jeunes des minorités ethniques. Un espace où on n’ose pas s’asseoir, où on n’est pas bien accueilli, où on n’est pas servi, où, quand on est servi, c’est cher. Un des lieux les plus traumatisants. » Bonne nouvelle pour ces savants, un formidable document vient de paraître en libre accès et leur offre la possibilité d’arrêter de dire n’importe quoi : « The Caliphate’s Global Workforce : An Inside Look at the Islamic State ». Ce texte, diffusé en avril, a été écrit sur la base des données mises à la disposition des chercheurs de l’Académie militaire des EtatsUnis par la chaîne NBC, qui les a reçues ellemêmed’unex-combattantdeDaech.Cedocument a d’abord suscité la méfiance. Constitué de plus de 4 000 fiches descriptives des combattants étrangers du groupe islamique (nationalité, niveau d’études ou groupe sanguin), il pose une question : pourquoi Daech a-t-il pris le risque de constituer une telle base de données ? Le groupe voulait faire le bilan de ses erreurs, car il savait que ses échecs de développement étaient dus à un mauvais management de ses troupes : on n’avait pas su utiliser le talent de chacun par le passé. Ces fiches ont donc été pensées pour aider les émirs à être de bons managers. Après une étude minutieuse de ce qui est le document le plus important concernant la réalité statistique de Daech, les auteurs du rapport ont conclu à la fiabilité des données.
Celles-ci décrivent les caractéristiques des volontaires, principalement étrangers, entrés dans l’armée djihadiste en 2013 et 2014. On note par exemple que 10 % seulement ont une expérience du combat et que ceux-ci viennent majoritairement du groupe Jabhat al-Nosra. Si 12 % d’entre eux visent une attaquesuicide, on doit se souvenir qu’une étude avait montré en 2007, dans des conditions similaires, qu’ils étaient alors 56 %. La décroissance de candidats au suicide terroriste n’a rien d’étonnant dans la mesure où la situation a beaucoup changé. L’idéologie djihadiste a étendu son territoire et doit le gérer concrètement. Daech a besoin de personnels assurant plusieurs rôles (combattants, garants de la charia, policiers, etc.).
Le point le plus surprenant est sans doute l’incroyable diversité des volontaires du djihad, puisqu’ils sont originaires de près de 70 pays, ce qui affaiblit les thèses faisant du terrorisme une forme de revanche sociale qui serait la conséquence de l’histoire coloniale d’un pays. D’ailleurs, lorsqu’on observe les pricipaux pays pourvoyeurs de combattants, les Occidentaux sont faiblement représentés. Les pays qui « envoient » le plus de combattants (par million d’habitants) sont d’abord la Tunisie : 51 combattants par million d’habitants, l’Arabie saoudite (19), le Kosovo (18), Bahreïn (17). Les pays européens sont très loin derrière : la France (0,74), la Belgique (0,8), le Danemark (1,42). Ces derniers chiffres augmentent un peu pour les pays européens lorsque la nationalité, et non la résidence, est prise en compte. Non moins intéressant, et défaisant les stéréotypes sociologisants concernant le profil des terroristes, le rapport note que les djihadistes ont un bon niveau d’éducation au regard de la moyenne nationale des pays dont ils sont originaires. Cela ne surprendra aucun de ceux qui se sont penchés sur les autres statistiques du fait terroriste – qu’elles relèvent de l’extrême gauche, de l’extrême droite ou d’Al-Qaeda –, mais mérite d’être rappelé, tant les certitudes hâtives dans ce domaine sont tenaces, mises au service des compulsions idéologiques et misérabilistes des uns ou des autres.
L’âge moyen des volontaires se situe vers 26, 27 ans et 61 % sont célibataires. Ce chiffre ne doit pas faire oublier que 30 % sont mariés et que, parmi eux, la plupart abandonnent femmes et enfants pour partir combattre, ce qui en dit long sur la capacité d’un extrémiste à tout risquer au nom de l’idée qu’il se fait du bien. S’il est une donnée constante du fanatisme qui ne doit pas être oubliée, au-delà de la statistique, c’est que ces individus sont prêts à mourir pour leurs idées plus souvent que ne l’est le démocrate moyen. Une réalité angoissante, d’ailleurs rappelée par une citation bien connue d’Oussama ben Laden : « Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie. »
Les djihadistes ont un bon niveau d’éducation au regard de la moyenne nationale des pays dont ils sont originaires.