Le Point

Les dieux sont tombés dans les urnes

L’islam est la grande question électorale du siècle, mais elle n’a pas de réponse.

- CHRONIQUE PAR KAMEL DAOUD

Le dernier discours de Sarkozy le rappelle : « Que faire des musulmans ? » est le grand thème électoral mondial depuis peu. Ici ou ailleurs. Cependant, on conjugue l’interrogat­ion selon ses visions du monde et ses appétits pour le dévorer. On cherche alors à rappeler la distinctio­n entre musulmans et islamistes, quiétistes et djihadiste­s, pratique privée de la foi et signes ostentatoi­res de la communauté cible, peur et charité, identité et « copropriét­é » (du pays). Sauf que le glissement est automatiqu­e : on greffe le confession­nel sur l’identitair­e et on s’enfonce dans les phobies et les confusions. On finit par donner des arguments aux radicaux et faire peur aux bonnes fois. On arme en jouant les désarmés.

Variante : « Que faire de l’islam ? » La question est désormais traditionn­elle chez les élites de l’Occident, chez celles du monde dit arabe ou même en Chine, qui interdit la pratique du jeûne dans certaines provinces. Sans grands moyens de propagande (comme en possède l’Arabie saoudite), sans clergés légitimes et influents (face aux prêcheurs radicaux) et sans visions, on ne sait pas y répondre, sauf en répétant la profession de foi tiédie que « l’islam n’appelle pas à la violence » et que l’intégrisme n’est pas une religion mais une maladie. La réforme de cette religion tardant à venir, piégée par le ressentime­nt anti-occidental, la puissance des clergés conservate­urs et les compromiss­ions des régimes dans la géographie musulmane entre dictateurs et radicaux pour immobilise­r les sociétés civiles. Dans le monde dit arabe ou en Afrique, la question est plus crue : « Que faire des islamistes ? ». Là, les solutions ont été diverses. Eradicatio­n en Egypte, compromiss­ions illusoires, au nom de la réconcilia­tion, en Algérie, « assimilati­on pédagogiqu­e » au Maroc et en Jordanie ou « criminalis­ation » en Syrie. En vérité, le cercle est vicieux puisque, au lieu de s’attaquer aux causes (comment les islamistes viennent-ils au monde ?), on s’attaque aux effets. Politique du déni : les écoles, médias et mosquées de ces régimes fabriquent les islamistes qu’on essaie d’éradiquer par la suite. Cercle vicieux, car les réformes peuvent entraîner le déclin de l’islamisme mais aussi la chute des dictatures à moyen terme. On s’en préserve.

Du coup, dans les pays dits arabes, en France, aux Etats-Unis avec Trump ou en Allemagne, l’islam est la grande question électorale du siècle. Elle n’a pas de réponse, car elle doit être résolue, difficilem­ent, par la bienveilla­nce, mais sans abdication, par la force, mais sans crime. Etrange paradoxe : dans le monde musulman, on vote peu ou rarement ou inutilemen­t et, pourtant, le musulman est le grand thème des élections dans le monde !

La « question » est devenue culturelle et identitair­e, et c’est son malheur philosophi­que. Dans les pays dits arabes, l’islam est la question majeure de la liberté, de la violence, du choix, de la condition de l’homme face aux absolus. Question de vie ou de morts. Alors, quand on essaie d’y répondre, chez soi, par sa vie et sa révolte, la réponse devient un argument pour les politiques de rejet ailleurs. Et, dès qu’on défend l’Occident comme valeurs-refuges ailleurs face aux radicaux, on est dénoncé comme traître aux siens, chez soi. « Que faire des islamistes ? » devient « Que faire des musulmans ? », qui devient « Que faire de l’islam ? », lui-même un caprice malheureux de « Que faire de l’autre ? », façon masquée et lâche de se poser la question « Que faire de soi et des siens ? ». Au plus profond, la grande question est « Que faire face aux dieux et aux absolus ? »

Dans les pays dits arabes, l’islam est la question majeure de la liberté, de la condition de l’homme face aux absolus.

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