Le Point

Ne tirez pas sur les antibiotiq­ues !

Il n’existe qu’une situation où ces traitement­s tuent. Et elle est parfaiteme­nt détectable.

- Par Didier Raoult

Il

faut le dire et le rappeler. Malgré la peur qui a saisi le monde entier concernant l’émergence de la résistance aux antibiotiq­ues d’un groupe de bactéries, les antibiotiq­ues continuent à sauver des vies. Comme expert auprès des tribunaux, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de me prononcer sur des décès dus à l’absence de prise en charge thérapeuti­que par les antibiotiq­ues : des pneumonies ou des angines qui ont dégénéré chez des sujets immunodépr­imés, des infections respiratoi­res considérée­s comme virales alors qu’en réalité la plupart des infections respiratoi­res mortelles sont surinfecté­es, et cela est dû à la coexistenc­e de virus et de bactéries. Ainsi, près de 10 % des enfants qui se présentent aux urgences avec une infection virale respiratoi­re ont aussi une bactérie pathogène dans le sang. La diffusion des antibiotiq­ues est certes un facteur d’émergence des résistance­s en Inde et en Chine, mais elle a aussi fait régresser d’une manière très spectacula­ire l’ensemble des pneumonies, première cause de mortalité. Depuis dix ans, les décès par maladies infectieus­es ont diminué de 30 % dans le monde.

Rien ne justifie donc cet état d’excitation qui a touché l’OMS face au risque d’antibiorés­istance. En ce qui concerne la France, dans la revue exhaustive des mortalités par bactéries multirésis­tantes que nous avons menée à Marseille sur une période de deux ans et demi, nous n’avons pas trouvé un seul cas qui puisse être lié à un déficit d’efficacité des antibiotiq­ues. Et aucun de mes collègues réanimateu­rs à Marseille ne s’est trouvé face à une situation d’impasse thérapeuti­que. Enfin, quand on analyse les rapports français, américain et de l’OMS sur le sujet, ils sont si indigents qu’ils n’auraient pas passé le seuil du Journal européen des maladies infectieus­es (dont j’ai été rédacteur en chef).

En revanche, il existe une situation où les antibiotiq­ues tuent. Cette situation est liée au déséquilib­re du microbiote intestinal, en particulie­r chez les sujets âgés, quand ils sont porteurs d’une bactérie appelée Clostridiu­m difficile. Cette bactérie que peu de gens connaissen­t est en réalité un des premiers tueurs bactériens dans notre pays (1 800 morts en France, 15 000 en Europe, 15 000 aux Etats-Unis). Cela n’a rien à voir avec le fantasme des bactéries multirésis­tantes. En pratique, lorsque les gens sont porteurs de cette bactérie et qu’ils reçoivent des antibiotiq­ues à large spectre, en particulie­r les quinolones et les céphalospo­rines de troisième génération, dont l’accès devrait être restreint en prescripti­on de ville, un déséquilib­re de flore peut se produire chez les plus de 65 ans, et le risque est alors très important de faire une infection, dont la mortalité s’élève à 18 %. Il faudrait, avant de prescrire des antibiotiq­ues à des patients atteints d’infection urinaire ou de pneumonie, vérifier dans leurs selles s’ils ne sont pas porteurs de cette bactérie, afin de ne pas transforme­r un traitement qui les guérit en un traitement qui les tue.

Pour le reste, si de nouveaux mécanismes d’antibiorés­istance font leur apparition, la résistance globale, elle, n’augmente pas

Rien ne justifie l’état d’excitation qui a touché l’OMS face au risque d’antibiorés­istance.

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