Le Point

Retour à Saint-Etiennedu-Rouvray

Deux mois après l’assassinat du père Hamel, ambiance tendue dans la cité normande. Choses vues.

- PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Privilège de sacristain­s, Maria e t S é b a s t i e n Ve l a r d i t a conservent religieuse­ment les clés de l’église Saint-Etienne. Personne ne peut y entrer depuis que « cette chose-là est arrivée » . Cette chose, c’est l’assassinat du père Jacques Hamel, l’attentat de Daech, le coup de folie d’un jeune de la ville ; une réalité toujours indicible pour ces paroissien­s ébranlés. Assis autour de la grande table du salon, sous un portrait du curé martyr, le couple d’octogénair­es pleure encore la mort de l’ami qu’ils ont secondé pendant quatorze ans. Ils redoutent le moment où ils vont devoir retourner dans l’église profanée pour préparer la cérémonie de resacralis­ation du 2 octobre.

Le lieu porte encore les stigmates de la violence, figé dans une scène de chaos qu’ils aimeraient tant oublier. Les fleurs ont fané dans les vases, la croix de procession a été arrachée, le cierge pascal gît sectionné en deux à même le sol, la statue de Notre-Dame-de-Fatima a perdu son chapelet, arraché par les deux jeunes en furie. Lorsque l’évêque est venu constater les dégâts, Maria était très inquiète : « Nous ne savions pas si nous devions faire le signe de croix en entrant », raconte-t-elle. L’évêque, lui, n’a pas douté. Il s’est signé puis s’est agenouillé pour prier, suivi par les fidèles alors présents. Bientôt, la petite communauté catholique du bas de Saint-Etienne-du-Rouvray retrouvera son église et, qui sait, peut-être, une vie normale.

Eugenia Ferros craint Dieu comme le diable. Cette pieuse paroissien­ne ressasse les derniers instants du père Hamel : « En agonisant, il n’a eu le temps de dire que deux fois “va-t’en, Satan”. S’il l’avait dit trois fois, Satan n’aurait pas pu rester. Le rite de réparation sera difficile » , prévoit-elle. Cette journée du 26 juillet a été vertigineu­se. Tout s’est enchaîné tellement vite : on a assassiné le vieux prêtre de 86 ans, des militaires cagoulés ont pris possession des rues, le président de la République est apparu sur le perron de la mairie et des journalist­es ont piétiné les parterres de fleurs. La petite ville est devenue pendant quelques jours le centre du monde. Les répliques de ce séisme se font maintenant sentir à travers les milliers de messages de compassion qui déferlent sur la ville. Des lettres sont adressées à la famille du prêtre, au maire, qui n’a pu retenir ses larmes devant les caméras, à la congrégati­on des soeurs ou à l’entière communauté des paroissien­s.

Le père Auguste Mohanda n’a pas le temps de lire toutes les lettres reçues, alors quelques paroissien­s se relaient pour y répondre du mieux qu’ils peuvent. L’abbé de 5 1 a ns vi t a u pr e s byt è r e de Sainte-Thérèse, l’église du haut de Saint-Etienne-du-Rouvray. Pour faire la navette entre le haut et le bas de la ville, le curé se déplace à vélo, lorsque la météo le permet. Le père Auguste aurait pu être à la place du père Jacques, s’il n’avait décidé cette année de prendre ses vacances en juillet. Depuis que la mort a rompu le lien filial qui existait entre les deux hommes d’Eglise, le prêtre s’interroge. Comment pardonner ? Il lui a fallu lutter. Tous les fidèles n’y sont pas, pour le moment, parvenus.

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