Le Point

Ormessons-nous vite !

Nous sommes tous des égarés, proclame Jean d’O, qui nous montre comment retrouver le chemin.

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

Epicure est toujours vivant. Il a rasé sa barbe de près, s’habille avec coquetteri­e et habite une maison avec vue dans un jardin, à Neuilly-sur-Seine, non loin du bois de Boulogne. Il s’en tient toujours aux mêmes axiomes philosophi­ques inspirés par la cosmologie grecque : rien ne peut naître de tout ; tout ne peut naître de tout ; rien ne peut retourner au néant.

Il s’appelle Jean d’Ormesson et, à 91 ans, vient de publier, sauf erreur, son 42e livre, « Guide des égarés », petit vademecum à l’usage des pauvres humains que nous sommes qui cherchons la lumière à tâtons dans les forêts obscures, sans savoir pourquoi nous sommes nés ni ce que nous deviendron­s après notre mort. Un essai qu’on pourrait titrer : « Qu’est-ce que je fais là ? »

Jean d’O n’en revient toujours pas d’avoir atterri sur cette planète. Il se pince, il se frotte les yeux, il sourit d’aise. En lisant son dernier opus, je me rappelle les merveilleu­ses lignes de Nietzsche sur Epicure : en quelques lignes. C’est ce qui fait tout le charme du « Guide des égarés », qu’on pourrait résumer comme une introducti­on ou une conclusion à son oeuvre, et où on retrouve tous les grands thèmes de l’ormessonis­me.

Outre l’ombre lumineuse d’Epicure, toutes les fées se sont retrouvées autour du berceau du dernier-né d’Ormesson. La fée Ecclésiast­e qui nous remet sans cesse à notre place : « Vanité des vanités, tout est vanité et pâture de vent. » Les fées Joie, Amour et Beauté qui nous en mettent plein les yeux et les oreilles avec Michel-Ange, Mozart et Bach. Sans oublier Chateaubri­and, bien sûr. Mais parfois on croit apercevoir le sourire de Dieu au-dessus de tout ce beau monde. Jean a-t-il enfin trouvé la foi ? Ce serait un scoop.

Ormesson, qui s’est toujours défini comme un « catholique agnostique », a souvent dit qu’il fallait « penser comme si Dieu existait et agir comme si Dieu n’existait pas ». De livre en livre, il a toujours beaucoup écrit sur la foi, mais sans jamais trancher, comme s’il ne savait pas si c’était, que l’on me pardonne, du lard ou du cochon. Il faisait penser à ces rabbins qui affirment : « L’important, c’est Dieu, qu’il existe ou pas. »

Dans le « Guide des égarés », notre Epicure national fait un grand pas vers la foi. Il n’est plus à sa porte, il vient de franchir l’embrasure, sans renier ses doutes, avec une très belle définition de Dieu qui enchantera tous les croyants du monde : « Dieu, absent et présent, est notre seule espérance. Et, en vérité, dans la beauté, dans la joie, dans la justice, dans l’amour, la seule réalité. »

« Guide des égarés », de Jean d’Ormesson (Gallimard, 128 p., 14 €). Et aussi le recueil « Ces moments de bonheur, ces midis d’incendie » (Robert Laffont/Bouquins, 1 184 p., 32 €).

 ??  ?? Epicurien. Jean d’Ormesson dans son jardin, à Neuilly, en 2014. « Jean a-t-il enfin trouvé la foi ? questionne FOG. Ce serait un scoop. »
Epicurien. Jean d’Ormesson dans son jardin, à Neuilly, en 2014. « Jean a-t-il enfin trouvé la foi ? questionne FOG. Ce serait un scoop. »

Newspapers in French

Newspapers from France