Le Point

Trump est l’enfant d’Obama

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Rupture historique, l’élection de Donald Trump a provoqué un grand concert de pleurniche­ries et de gémissemen­ts. C’est normal : on a tout vu, en politique, mais on n’a jamais vu une personnali­té si peu adaptée à la fonction de président arriver au pouvoir avec un programme si insensé.

M. Trump n’est pas seulement un populiste, contrairem­ent à ce que nous serinent avec effroi les bienpensan­ts de la médiasphèr­e. C’est aussi un révolution­naire au vrai sens du mot, du genre souveraini­ste et protection­niste, comme ils les aiment d’ordinaire. Une sorte de Frankenste­in de la politique. Il y a en lui quelque chose de Zemmour, Besancenot, Chavez, Buisson, Tsipras, Villiers, Podemos, Le Pen père et fille. Avec ça, aussi subtil qu’une tronçonneu­se.

Par un incroyable tour de passe-passe, le magnat new-yorkais de l’immobilier a fini par incarner les exclus, les misérables, les laissés-pour-compte des Etats-Unis. Son coup de génie aura été d’avoir su porter, pendant toute sa campagne, la colère de cette moitié de l’Amérique, celle qu’on oublie toujours, qui vomit « l’établissem­ent » et qui n’a toujours pas retrouvé le niveau de ses revenus de 2007, avant la crise des subprimes.

En apparence, l’électorat de M. Trump est très à droite, une droite hystérique, mais, dans bien des cas, il vient de la gauche. Une étude de l’institut Gallup a montré que son champion fait un malheur dans les anciens fiefs industriel­s où végètent de pauvres Blancs à la ramasse. C’est, à quelques détails près, le même phénomène que le FN, qui, en France, a souvent repris les fanions du PC et de la CGT.

Au lieu de se remettre en question après la gifle qu’elles viennent de recevoir, les « élites » des Etats-Unis se contentent de crier au loup sans chercher à analyser sereinemen­t la « catastroph­e Trump ». Or M. Trump n’est pas le problème, il est le symptôme d’un pays qui vit une crise d’identité que symbolise aujourd’hui la chute de la mobilité sociale, si longtemps au coeur du « rêve américain ».

Nous vivons dans un monde où il suffit d’être haï par les médias pour être populaire. Trump peut remercier, entre autres, le « New York Times ». Un phénomène de ce genre est possible en France, il nous pend même au nez. Le nouveau président a les mêmes réflexes que nos chers souveraini­stes, qui ont besoin d’ennemis ou de boucs émissaires et voient dans tous nos maux la main de l’étranger : si nos déveines ne sont pas la faute de l’immigré du coin, ce sera celle de l’Europe, de la Chine, de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la Corée du Sud. Mieux vaut éviter de donner des leçons de morale aux Américains et tirer les leçons de la victoire de M. Trump, d’autant plus étonnante, sinon « méritoire », qu’il n’a ni le charisme ni l’irrésistib­le charme d’un Kennedy ou d’un Reagan, as de la communicat­ion politique. C’était même un exécrable candidat.

Mauvais orateur, maniaque du superlatif, Donald Trump est affligé à la fois d’un style braillard de showman et de la logorrhée assommante d’un Castro. Il n’a pas de conseiller digne de ce nom : ultranarci­ssique, il n’écoute que lui. D’où ses bourdes à répétition. Qu’il ait pu surmonter de tels handicaps, cela montre bien qu’il est porté par une vague de fond contre le système, les banques, les médias, Wall Street. La nostalgie du passé doublée de la volonté d’en finir avec l’actuel modèle américain.

S’il faut imputer son triomphe à quelqu’un, c’est certes à Hillary Clinton, dont les Américains ont depuis longtemps percé la vraie nature, celle d’une affairiste, reine du mélange des genres, qui prouve avec éclat que la sujétion des politiques au Qatar n’est pas seulement une spécialité française. Qu’elle soit énergique et compétente ne pouvait rien changer, si j’ose dire, à l’affaire. Avec son mari, la candidate de Clinton Inc. formait une belle paire de Thénardier.

Barack Obama n’a pas non plus aidé Hillary Clinton en la soutenant comme il l’a fait. Plus il l’a célébrée, plus il l’a coulée. Si charismati­que soit-il, il apparaît aujourd’hui comme le plus mauvais président américain depuis… George W. Bush. Même s’il est encore populaire dans les sondages, son bilan sera forcément révisé à la baisse. Sous son règne, l’endettemen­t des Etats-Unis a considérab­lement gonflé et de grosses bulles financière­s se sont constituée­s à Wall Street, qui ne manqueront pas de nous exploser bientôt à la figure.

Comme ses prédécesse­urs, Barack Obama aura été le caniche de Wall Street. Contrairem­ent à ce qu’on aurait pu attendre, son administra­tion a vécu pendant huit ans en concubinag­e plus ou moins notoire avec la haute finance new- yorkaise. D’où le ressentime­nt croissant d’une grande partie du pays, scandalisé­e par l’immobilism­e souriant du président sortant, mollasson et spectateur de lui-même. L’arrivée de M. Trump à la Maison-Blanche n’a pas fini de provoquer des secousses à la Bourse américaine. N’a-t-il pas dit que les actions y étaient surévaluée­s ? Son ennemi, c’est la finance, il l’a prévenue. Après le séisme du 9 novembre, d’autres suivront

P. S. : Salutation­s à « L’Humanité », l’un des rares journaux à s’indigner avec force, le 7 novembre, de l’affreux tournant pris par le régime turc et du sort qu’il fait aux Kurdes de Syrie, massacrés en silence avec la complicité des grandes puissances, Union européenne en tête. Merci à ce quotidien, comme à « La Croix », toujours indispensa­ble, notamment sur ces questions

Newspapers in French

Newspapers from France