Juppé, les années Goutte-d’Or
C’est à Montmartre, en 1983, qu’il décroche son premier mandat. Il a 37 ans et ne compte pas en rester là.
Pour déceler la fibre comique chez Alain Juppé, il faut lui parler du 18e. Quand il évoque l’arrondissement parisien qui l’a vu naître en politique, le maire de Bordeaux se transforme. Au diable la raideur, la froideur, l’impatience ! Son visage s’illumine, ses yeux s’écarquillent, ses bras s’agitent. Les souvenirs se bousculent. Le voilà qui, attablé dans un restaurant italien, se lance dans un numéro d’imitation (grimaces comprises !). Imaginez alors l’ex-Premier ministre en papi parigot, mégot au bec, démarche voûtée, beuglant après sa femme : « Yvonne, c’est pour toi ! »
La scène qu’il décrit se passe en 1983, pendant la campagne municipale. Parachuté dans ce quartier du nord de Paris, l’enfant de Montde-Marsan se lance à l’assaut d’une terre socialiste. Le poulain de Chirac entend y défier celui de Mitterrand, Lionel Jospin. A l’époque, bien que Juppé soit l’homme qui monte au RPR – « l’Attali de Chirac » , disait-on –, personne ne le reconnaît d’un côté ou de l’autre de la butte Montmartre. Alors, le brillant énarque de 37 ans, adjoint aux finances du maire de Paris, doit décliner son identité à chaque porte-à-porte : « Bonjour, je suis Alain Juppé, le candidat de Jacques Chirac. » Ce jour-là, alors qu’il « fait [ s]es HLM » (sic), on lui réserve un accueil particulier : Yvonne arrive dans l’embrasure de la porte et brandit… une poêle à frire ! Juppé mime la scène. Puis il fait un geste qui signifie : « On déguerpit ! » Le jeune candidat comprit le dimanche suivant les raisons de son infortune quand il reconnut cette charmante dame sur un marché… « C’était la représentante locale du PC ! » raconte-t-il, hilare.
Le 18e, c’est son atout « peuple ». « Quand d’autres n’ont connu que Neuilly… » rappellent ses proches. A ceux qui osent dire que le favori des sondages est « coupé du terrain » il répond dans son livre numérique (« De vous à moi ») : « Interrogez les associations de la Goutte-d’Or et tous les acteurs de proximité que nous avons fait travailler ensemble pour rénover l’habitat et recréer une vie locale. » Au passage, il s’arroge parfois le titre d’ « élu de la Goutte-d’Or » , ce quartier populaire et longtemps délabré niché derrière le boulevard Barbès, alors qu’il fut député de la 18e circonscription de Paris, soit les quartiersplusbourgeoisdeClignancourt, Montmartre, Jules-Joffrin… Le candidat de l’ « identité heureuse » – thème brocardé par Sarkozy– serait « aveugle aux réalités de l’immigration » ? « Allez animer des réunions de terrain rue Polonceau ou rue Myrha ! » répond dans son livre celui qui a horreur des préjugés le concernant.
Le 18e, c’est aussi sa carte « combat ». Comment ce techno, grand argentier de la ville de Paris, s’est-il retrouvé à conquérir une place forte de la gauche parisienne ? Un arrondissement très politique, où de nombreux destins nationaux se sont joués. Après son échec aux législatives de 1978 dans son fief des Landes, Chirac lui enjoint de se relancer dans la bataille : « Il faut sauter le pas, Alain. Il faut que vous ayez une circonscription ! » Son mentor lui propose d’abord le 17e pour les législatives de 1981, avant de le céder à Bernard Pons (alors secrétaire général du RPR). On le balade en Bretagne, dans le Loir-et-Cher… « J’étais d’une grande naïveté, reconnaît-il devant la caméra de Franz-Olivier Giesbert (« Juppé, le ressuscité »). Je ne connaissais pas du tout les moeurs politiques… Ça m’a servi de leçon ! »
1983 sera son année. Chirac est bien décidé à « attraper » (sic) Juppé à Paris. Certains pensent