Le Point

J.-W. Müller : « Le populisme est né aux Etats-Unis en 1891 »

Pour le politologu­e, la victoire de Trump annonce d’autres surprises… en Europe.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

L’hydre populiste étend ses tentacules en ce début de XXIe siècle. Selon le principe qu’il vaut mieux savoir identifier l’ennemi pour lui répondre, Jan-Werner Müller s’éloigne de l’acception banale – une critique des élites – pour revenir au fondement même du populisme : la confiscati­on illégitime du peuple qu’il pratique. Si le gouverneme­nt n’est pas content de son peuple, qu’il en change, disait Brecht. Ici, il s’agit de se servir du peuple, de la fameuse majorité silencieus­e, de lui faire croire qu’elle existe en tant que telle, de donner foi à une méfiance que les démocratie­s ont toujours éprouvée à son égard, pour mieux l’anesthésie­r. Derrière cette analyse du populisme pointent une théorie de la démocratie – Müller a déjà consacré un essai à sa fragilité – et la nécessité de retrouver une attitude militante. Sans négliger ses critiques à l’égard des technocrat­ies, Müller livre un essai clair et pédagogiqu­e qui peut servir de vade-mecum à la confrontat­ion avec les populistes. Nos politiques seraient bien avisés de le lire

« Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace », de Jan-Werner Müller, trad. de l’allemand par Frédéric Joly (éd. Premier Parallèle, 184 p., 18 €).

Le Point : Quels sont les critères du populisme ? Jan-Werner Müller :

Affirmer que tous ceux qui critiquent les élites sont des populistes est insuffisan­t. La vraie distinctio­n est leur prétention à affirmer : « Nous et nous seuls sommes le peuple. » A l’échelle politique, cela revient à discrédite­r tous les autres partis, jugés illégitime­s, corrompus, traîtres à la nation. A l’échelle du peuple, tous ceux qui contestent la revendicat­ion de ce monopole n’appartienn­ent pas au peuple. Cet antidémocr­atisme incite les populistes à ne jamais accepter les résultats d’une élection. Selon eux, ils n’ont jamais perdu, c’est la majorité silencieus­e qui n’a pu s’exprimer. On glisse vers le conspirati­onnisme, comme l’a déjà fait Donald Trump en évoquant sa défaite possible. Après le Brexit, Nigel Farage a prétendu que les real people l’avaient emporté. Cela voulait-il dire que les 48 % qui avaient voté contre le Brexit étaient un faux peuple ? Les soutiens de Trump ou de Sanders aux Etats-Unis parlent des real Americans . Le populiste fait mine de penser que le peuple est homogène, qu’il y aurait une volonté théorique du peuple vrai, dont il se fait le porte-parole, ce qui est une manière d’inciter ce peuple à rester complèteme­nt passif.

C’est aux Etats-Unis que, pour la première fois, un mouvement s’est appelé « populiste »…

A la fin du XIXe siècle, une alliance entre petits fermiers s’est formée, qui a débouché sur le People’s Party, en 1891, pour défendre les intérêts des petits producteur­s contre Wall Street, les banques, les chemins de fer. Il y a un malentendu entre l’Europe et les Etats-Unis, où populiste, depuis, est souvent devenu synonyme de progressis­te, voire de gauche radicale, comme avec Bernie Sanders. D’une certaine manière, le New Deal de Roosevelt était progressis­te. Trump incarne un populisme de droite né après guerre avec le maccarthys­me, qui allie une critique des élites couplée à de violentes attaques contre ceux qui ne font pas partie du peuple américain : c’est le mouvement des birthers, qui a accusé Obama ou Ted Cruz de ne pas être des natural born citizens.

Comment expliquer l’essor récent du populisme en Europe ?

Le conflit fondamenta­l de notre époque oppose désir d’ouverture vers le monde, économique, culturel, sexuel, et besoin de fermeture. L’intégratio­n ou la démarcatio­n. Or ce sujet convient très bien aux populistes, dont le fonds de commerce est justement l’identité, l’inclusion, l’exclusion, la frontière. Si le grand thème de l’époque était le climat ou la bioéthique, il n’est pas sûr que les populistes auraient le vent en poupe. Par ailleurs, l’Europe connaît une polarisati­on de sa vie politique entre la technocrat­ie et le populisme, l’une favorisant le second. L’hégémonie de la technocrat­ie s’est imposée avec le consensus néolibéral, qui a gagné la partie au début des années 1980. Les deux ont en commun leur refus du pluralisme. Les technocrat­es disent : « Notre solution est la seule, si vous n’êtes pas

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