« Polina », la ballerine sort de sa bulle
Angelin Preljocaj et Valérie Müller donnent vie à la danseuse dessinée par Bastien Vivès. Un film sans faux pas, une jolie leçon de vie.
Polina danse dans la neige. Elle vient d’être admise à l’école du Bolchoï, qui dispense l’une des plus exigeantes formations classiques de Moscou. Làbas, on mesure les élèves, on teste leur souplesse, l’engagement doit être total. Polina danse dans la neige, elle saute, plie, joue, improvise, elle est libre. Le Bolchoï donne des règles strictes, mais, dès les premières images du film, on comprend que la petite tracera sa route. La neige est son parquet, les arbres, ses partenaires. Le film de Valérie Müller et Angelin Preljocaj raconte ce qu’est une vie quand on la danse. De l’album de Bastien Vivès « Polina » (lire ci-contre) ils ont gardé le cadre, l’esprit, l’héroïne, mais préféré que ce soit une chorégraphe qui soit son inspiratrice (Juliette Binoche), choisi Anvers plutôt que Berlin. Leur Polina est double, comme celle de Vivès. Les deux actrices qui l’incarnent – la petite, Veronika, plume qui apprend la solidité, et Anastasia Shevtsova, danseuse aujourd’hui au Mariinsky, l’autre grande compagnie russe, concurrente du Bolchoï – sont époustouflantes.
Qu’est-ce qui ravit autant dans ce film ? Qu’il danse. « Nous voulions que le réel fasse irruption dans la danse et que la danse entre dans le réel », résume le couple de réalisateurs. Valérie Müller est cinéaste, Angelin Preljocaj, chorégraphe. L’un des plus célèbres aujourd’hui dans le monde. Le couple (c’en est un) avait depuis longtemps envie de réaliser un film de danse. Il y en a peu de réussis, hormis les parfaits « Chaussons rouges », de Michael Powell, et « West Side Story », de Bernstein et Robbins… Filmer la danse est un exercice périlleux, raconter une histoire qui fasse fi des clichés et emporte le spectateur l’est plus encore.
Du travail d’Angelin Preljocaj, Bastien Vivès connaissait le ballet « Blanche-Neige » (le chorégraphe, quand il découvrit l’album « Polina », y retrouva à son grand étonnement un de ses portés inventés pour le ballet !). Le dessinateur donna son accord sans hésitation et n’exigea aucun droit de regard : « Il tenait seulement à ce que Polina retrouve à la fin celui qui l’a formée. C’était aussi ce que nous voulions. La relation entre maître et élève est déterminante dans la danse. Tout commence par là. Pas seulement la technique, mais le regard, la confiance. Les maîtres voient plus loin. »
Pour Preljocaj, qui a connu ses premiers succès dans les années 1990, lorsque la jeune danse française s’est retrouvée propulsée au premier rang, détrônant un temps la danse américaine, les maîtres furent des chorégraphes, Karin Whaener, Viola Farber et, bien sûr, Dominique Bagouet, dont il a été un des danseurs. Ce sens de la narration, Angelin le possède depuis ses débuts, et Valérie Müller aime tant écrire et récrire les scénarios qu’elle a construit pas moins de vingt-sept versions. «“Polina” retrace une recherche, une trajectoire, ajoute la cinéaste. Dans le film, elle dit : “J’en ai assez d’exécuter sans réfléchir les chorégraphies des autres. Je veux apprendre à regarder le monde !” Elle découvre que ses faiblesses deviendront sa force. »
Binoche chorégraphe. Alors, elle fonce, la petite Russe. Elle plaque l’école, part danser en France, à Aix-en-Provence (là où Angelin dirige le centre national chorégraphique, l’occasion de revoir le beau Pavillon noir de Rudy Ricciotti), rencontre une chorégraphe, qui décèle la Polina en devenir. Binoche dirige la compagnie : « Je ne veux pas voir une jolie danseuse. Je veux voir Polina. » Certes, l’actrice a déjà dansé sur scène avec Akram Khan, mais de là à interpréter une chorégraphe… « Elle a assisté à toutes mes séances de travail et noué avec Anastasia une relation très forte dès le premier jour de tournage. » La jeune fille, elle, n’en revient toujours pas de danser avec Binoche pour Preljocaj : « Lorsque j’ai vu “Le parc” pour la première fois, au Mariinsky, j’ai eu comme une révélation. C’est cela que je voulais danser. Malheureusement, je suis trop petite pour avoir le rôle… » Parmi les danseurs qui l’inspirent, elle cite volontiers la chorégraphe Pina Bausch, mais aussi de jeunes Russes comme Polina Semionova et Sergueï Polounine (qui dansait dans le clip de « Take Me To Church », de Hozier, réalisé par David LaChapelle).
La distribution du film comprenait un critère de taille : le couple voulait des acteurs sachant danser et des danseurs sachant jouer. Pas facile, mais qui pourrait croire que Niels Schneider n’avait jamais pris un cours de danse avant le film ? L’amoureux de Polina porte et interprète comme un pro. Jérémie Bélingard, étoile de l’Opéra de Paris, joue comme s’il l’avait fait toute sa vie. Ksenia Kutepova, délicate splendeur de la troupe Fomenko, une star en Russie, incarne la mère de Polina, un personnage de Tchekhov au XXIe siècle. « Nous voulions que les parents soient