Le Point

« Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien) »

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Les choses ne se passent jamais comme prévu. Jusqu’à présent, tout allait bien, les observateu­rs étaient ravis d’avoir à chroniquer le match Juppé-Sarkozy : c’était du carré, du brutal. Et voilà, si on en croit les sondages, qu’un troisième homme, Fillon, s’invite in extremis dans la barque.

Le parti du bien et des médias est déboussolé. A quelques jours du premier tour, il lui faut d’urgence revoir toutes ses fiches. Tant mieux, ce n’est que justice : comme nous l’avons souvent écrit ici, François Fillon ne méritait pas d’être relégué au rebut de la primaire avec les mauvaises odeurs de poisson.

Il faudra changer le titre de l’histoire, ils ne sont plus deux mais trois, comme dans le roman. Paru à la fin du XIXe siècle, le livre de Jerome K. Jerome, prince de l’humour anglais, fut un énorme succès de librairie. « Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien) » recense les vaticinati­ons d’une fine équipe qui descend la Tamise, sous l’oeil d’un quatrième personnage, le chien, censé incarner le peuple britanniqu­e. Contrairem­ent à ce qui se passe dans le roman, on ne voit aucun de nos trois prétendant­s, certes las des averses incessante­s, abandonner le rafiot : ces gens-là ne lâchent jamais l’affaire, ce qui rend si passionnan­te cette primaire de la droite et du centre, appelée à nous donner, selon toute vraisembla­nce, le 27 novembre, le nom du prochain président de la République.

La grande leçon de cette campagne est que le populisme, en passe de devenir l’idéologie dominante à peu près partout dans le monde, fait déjà des ravages à droite. Nicolas Sarkozy, qui a pourtant le profil de Hillary Clinton, s’est déguisé en Donald Trump de poche, « antiélite » sur le chemin d’un néosouvera­inisme. Elucubrant sur les portions de frites pour les musulmans dans les cantines au lieu d’aborder le sujet, ô combien sensible, des mosquées salafistes, il s’est concentré sur l’accessoire plutôt que sur l’essentiel. Plus que jamais il cible l’électorat FN. C’est sans doute ce qui, jusqu’à lors, lui a permis de tenir son pré carré.

Alain Juppé a surfé, lui, sur la puissante vague antisarkoz­yste. Très disparate, elle comprend tous ceux qui, à droite et au centre, reprochent à l’ancien président d’être un faux dur, promettant beaucoup mais tenant peu, comme on a pu l’observer, selon eux, pendant sa présidence. Un ticket de métro, disent-ils, suffirait pour y dérouler son bilan. Ils sont sensibles au profil d’efficacité du maire de Bordeaux qui, après avoir métamorpho­sé sa ville, prétend dire ce qu’il fera avant de faire ce qu’il aura dit. Sa stratégie, gaullienne, consiste à s’assurer la majorité la plus large possible pour pouvoir mettre en oeuvre ses réformes.

L’un des cailloux dans les chaussures d’Alain Juppé est le soutien que lui apporte François Bayrou, qu’il entend faire revenir dans le giron, au grand dam de Nicolas Sarkozy, l’homme de l’« ouverture à gauche », qui n’avait pas hésité en 2007 à faire de Bernard Kouchner son ministre des Affaires étrangères. « Il ne fera rien », a décrété Jean d’Ormesson à propos du maire de Bordeaux, lequel répondra en souriant qu’il lui sera facile de faire plus et mieux que l’ancien président qui, pour ébouriffan­t qu’il fût à l’Elysée, appartient à la grande famille des politicien­s immobilist­es.

François Fillon, le troisième larron, a pâti de commencer sa campagne très tard, seulement quand, à Sablé-sur-Sarthe, l’été dernier, il a enfin rompu pour de bon avec Sarkozy, dont il fut pendant cinq ans le Premier ministre et qui l’empêcha par tous les moyens, en 2012, d’accéder à la présidence de feu l’UMP. Auparavant, Fillon ressemblai­t au chat de La Fontaine « faisant la chattemite ». Face à l’ancien président, il se tortillait en rasant les murs. Aussi crédible qu’il fût, il n’était pas vraiment audible. Maintenant, il l’est.

Même si les aléas de la campagne les amèneront à hausser le ton l’un contre l’autre, Alain Juppé et François Fillon ont beaucoup de points communs, à commencer par la même révulsion du bonapartis­me, moteur pétaradant de l’ex-président. Les mêmes réticences pour les carabistou­illes. Le même souci exigeant du « parler-vrai ». La même passion pour la raison, qui n’est certes pas la plus électorale des vertus. L’Histoire n’est jamais écrite, mais ils sont faits pour s’entendre et ce pourrait être le problème de Sarkozy au second tour de la primaire.

Puissent-ils permettre à la France de retrouver la niaque et d’en finir avec les discours déprimants du genre : « Quel destin nous fait naître précisémen­t à cette époque ? Sous mes yeux s’étend la ruine de mon pays, et je ne vois d’autre issue que de m’exiler, d’abandonner ma maison et d’aller là où le destin portera mes pas. »

« Même quand tout change, la France reste telle qu’en elle-même l’éternité la fige » : c’est La Boétie qui écrivit ça, en 1560, dans un texte à Montaigne

P.-S. : Grand spécialist­e de l’islam, capable de transgress­ions, Malek Chebel est mort. C’était un homme bien et une belle personne. Il n’a pas fini de nous manquer (lire p. 132).

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