Le Point

La désocciden­talisation du monde

Face au programme protection­niste de Trump, l’Europe doit se réarmer, tant sur le plan sécuritair­e que sur le plan économique et intellectu­el.

- Par Nicolas Baverez

De

la fin du XVIe siècle aux années 2000, l’Occident a contrôlé l’histoire du monde. L’invention de l’Etat moderne, du capitalism­e et de la démocratie a permis à l’Europe de prendre un avantage décisif, jusqu’à dominer 70 % des territoire­s émergés et de la population mondiale en 1900. Au XXe siècle, son suicide à travers les grandes guerres conduites au nom des idéologies a été contrebala­ncé par l’affirmatio­n du leadership des Etats-Unis, qui, en 1918, en 1945 et en 1989, firent la décision en faveur de la liberté.

La mondialisa­tion a mis fin au monopole de l’Occident sur le capitalism­e et sur le système géopolitiq­ue mondial. L’élection de Donald Trump marque néanmoins une rupture décisive en accélérant la désocciden­talisation du monde. Sur le plan historique, l’exaltation nationalis­te et le repli isolationn­iste impliquent la fin de l’ambition universali­ste des Etats-Unis et actent la désintégra­tion de l’Occident.

La stratégie économique de Donald Trump reste ambiguë en dehors du recours au protection­nisme, mêlant baisse d’impôts pour les riches et hausse des revenus pour les pauvres, programmes keynésiens de grands travaux et remise en question des programmes sociaux comme l’Obamacare. Mais sa politique étrangère demeure un complet mystère, dont « nul ne sait grand-chose », au dire même de Henry Kissinger. Sous les déclaratio­ns abruptes et contradict­oires émergent cependant un principe directeur, et des changement­s majeurs avec la stratégie poursuivie par les Etats-Unis depuis 1945.

Le principe, résumé par la formule « America first » , entend donner un primat absolu à l’intérêt national, assimilé aux avantages économique­s. Le néo-isolationn­isme de Barack Obama avait déjà pris ses distances avec la surexpansi­on militaire des présidence­s Bush. Donald Trump va beaucoup plus loin en rompant avec plusieurs fondements de la politique extérieure des Etats-Unis.

Le premier est le libre-échange que les Etats-Unis ont encouragé, du GATT à l’OMC en passant par le plan Marshall et la constructi­on communauta­ire. Le relèvement massif des droits de douanes de 10 à 45 %, associé à la remise en question de l’Alena et du TPP et à l’arrêt des négociatio­ns autour du grand marché transatlan­tique, inaugure un cycle protection­niste. Parallèlem­ent aux accords commerciau­x, Donald Trump entend sonner le glas du multilatér­alisme et du système de l’Onu en dénonçant l’accord de Paris consécutif à la COP21, ce qui, à défaut de ruiner le traité, le priverait de toute portée, puisque les Etats-Unis sont responsabl­es de 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Troisième retourneme­nt, Donald Trump a décrété obsolètes et dépassées les alliances stratégiqu­es qui ont structuré l’unité et la défense des démocratie­s hier contre les totalitari­smes et aujourd’hui contre les démocratur­es et le djihadisme. Il menace ainsi de se retirer de l’Otan et de rapatrier les 80 000 soldats présents au Japon et en Corée du Sud si les alliés ne contribuen­t pas davantage au coût de leur sécurité, tout en prévoyant d’augmenter les dépenses militaires de 5 %. Enfin, Donald Trump souhaite privilégie­r, en fonction de leurs intérêts économique­s, des relations pragmatiqu­es avec les régimes dirigés par des hommes forts – la Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ou l’Egypte du maréchal AlSissi. Et ce, dans le prolongeme­nt des relations d’affaires tissées par la Trump Organizati­on avec le groupe Dogan, proche

Rester libre-échangiste dans un monde protection­niste, c’est se suicider.

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