Le Point

X81, la promo des grands banquiers

Trente-cinq ans après avoir intégré Polytechni­que, quatre anciens règnent sur la banque européenne. Ils y étaient pourtant peu préparés… Récit.

- PAR CLÉMENT LACOMBE

Cette école, ils l’avaient fantasmée durant des mois. Des années, même. Que de nuits amputées, de week-ends escamotés, de vacances entières sacrifiées. Que de temps passé à bûcher, à bouffer des équations différenti­elles, à ingérer des espaces vectoriels. Tout ça pour réussir un concours – pardon, « le » concours – et entrer dans le rang des quelques élus jugés dignes de l’école. Ce 11 mai 1981, ils allaient passer les toutes premières épreuves pour intégrer Polytechni­que. La veille, François Mitterrand avait été élu président de la République, bientôt les socialiste­s allaient mettre en oeuvre leur programme et leurs 110 propositio­ns, prendre en main l’économie et nationalis­er 36 banques à 100 %.

Mais de tout cela ces jeunes gens à la tête bien faite n’avaient cure. Seul importait de faire partie de « la 81 », comme ils l’appellent toujours aujourd’hui, être l’un des 310 nouveaux étudiants de l’école – très e x a c t e ment 2 8 8 hommes e t 22 femmes. La relance socialiste, le contrôle étatique du crédit et de l’outil industriel, tout cela était très loin. Trente-cinq ans plus tard, de cette promotion 1981 de l’X sont issus quatre des dix banquiers les plus puissants de l’Europe d’aujourd’hui : Jean-Laurent Bonnafé (BNP Paribas), Frédéric Oudéa (Société générale), Jean-Pierre Mustier (UniCredit), et Tidjane Thiam (Credit Suisse). Et une palanquée de grands patrons ou de très hauts fonctionna­ires. L’équivalent business de la fameuse promo Voltaire de l’Ena, avec François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin…

Ils étaient loin de s’imaginer un t e l des t i n, c e matin de s e ptembre 1981 sur le campus de Palaiseau, lorsqu’ils ont été accueillis par le général Jacques Saunier, commandant de l’école, avec ces mots : « A Polytechni­que, la proportion de cons est la même que dans toutes les collectivi­tés. Mais ils sont d’autant plus dangereux qu’on les a sélectionn­és avec soin. » Pour ces jeunes gens sûrs de leurs talents et qui venaient de réussir un des plus difficiles concours qui soient, la redescente avait été brutale. Et encore plus rude le lendemain, quand ils avaient été transporté­s sur un plateau de la Creuse, au camp militaire de La Courtine. Revêtus d’un uniforme kaki, ils avaient fait leurs classes trois semaines durant, appris à tirer au fusil, à lancer des grenades, à se camoufler dans des fossés, à cracher leurs poumons sur les obstacles du parcours du combattant. Après La Courtine, la promotion avait été éparpillée dans toute la France pour le service militaire. Dans l’artillerie à Draguignan pour Oudéa ; dans un sous-marin nucléaire pour Bonnafé – une première pour un X. Avant de se retrouver tous à l’automne 1982 à Palaiseau. Pour deux années ensemble.

Trop d’équations.

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