Judith Chemla, divine actrice

Elle triomphe dans « Traviata » et incarne magnifiquement l’héroïne de Maupassant dans « Une vie ».

Elle ne ressemble à personne, sinon à un elfe. Cette créature d’une troublante beauté sait tout faire : émouvoir dans « Une vie », d’après Maupassant, le nouveau Stéphane Brizé après « La loi du marché », chanter, déchirante soprano dans « Traviata », qui l’a auréolée de succès aux Bouffes du Nord, jouer – la comédie, chez Noémie Lvovsky, ou le drame, dans la série « Engrenages ». Elle sait tout faire, sauf parler d’elle. « Je ne sais pas », répond-elle souvent, surprise qu’on lui demande si son idée de carrière, à 15 ans, était de devenir chanteuse. « Je ne sais pas. Mon idée, plutôt, n’a jamais été de ne pas devenir chanteuse. Je suis chanteuse. »

« J’aime savoir que je ne sais pas ce qui va arriver. On n’est pas obligé de se disperser, de courir les castings, de se mettre la pression pour travailler à tout prix. Je ne veux pas me plier à ce que je n’aime pas, j’ai envie de sentir le vide autour de moi. Les choses se font ou pas. J’ai toujours eu de la chance. C’est la vie. » C’est la sienne.

Le goût de la musique lui a été transmis par son père, une personnalité atypique dont elle dit peu. Sa mère lui a appris à voir loin, à accepter qu’il existe plus grand que soi, et cette dimension mystique, la Judith trentenaire l’applique à tout ce qu’elle touche. Claudel aurait pleuré en la voyant dans le rôle de Violaine de « L’annonce faite à Marie » : elle n’était qu’envol. « Violaine, Violetta ? Bien sûr, elles ont en commun le dépassement de la vie terrestre, comme si elles voyaient plus loin que la vie. Elles portent un amour qui donne tout. » Quant à Jeanne, l’héroïne d’« Une vie », elle l’a faite plus déterminée que dans le roman de Maupassant. « Voir cette femme se liquéfier, c’était horrible. Jeanne a confiance, elle croit en la bonne nature des humains. Moi aussi. »

Lorsqu’elle a quitté le Français, elle a monté un spectacle musical avec James Thierrée, « Tue-tête », puis elle s’est lancé le défi d’incarner Didon dans « Le crocodile trompeur », d’après l’opéra de Purcell. Déjà, sa voix avait enchanté, et l’entreprise menée par Samuel Achache et Jeanne Candel prouvait que le théâtre sait se réinventer. Judith Chemla va où le désir la mène. Quant à l’avenir, on connaît la réponse : « Je ne sais pas. » Et d’ajouter, délicieuse : « Pourquoi savoir ? »

« Traviata, vous méritez un avenir meilleur », théâtre Jean-Vilar de Suresnes les 18 et 20 novembre, puis en province. « Une vie », film de Stéphane Brizé, avec Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau, sortie le 23 novembre.