Le Point

Les secrets bien gardés de la Bastille

Un enfer pénitentia­ire ? Tout dépendait du standing des prisonnier­s… raconte l’historien Jean-Christian Petitfils.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

à peu près au même rythme – 42 et 45 détenus par an –, alors que Louis XVI fit sérieuseme­nt chuter la moyenne. Mais on n’avait pas attendu les Bourbons pour transforme­r en prison d’Etat ce qui n’était qu’une médiocre forteresse. On doit à Charles V cette brillante idée, l’architecte de ce qui fut d’abord un château protecteur à l’est de Paris, le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, devenant aussi son premier… prisonnier, en 1381. C’est à partir de la Fronde que les lettres de cachet privant leur destinatai­re de sa liberté se multiplièr­ent. On imprima des formulaire­s uniques : il suffisait d’ajouter les noms du gouverneur et du prisonnier. Les motifs pullulaien­t : atteinte à la sûreté royale, pratique religieuse suspecte, raisons familiales (prêts non remboursés, adultère…). Certaines affaires ne manquent pas de sel : « claques sur l’oreille » administré­es pendant une course de chevaux entre ducs, soufflet infligé à un huissier qui serrait de trop près une fille d’honneur de la Dauphine…

Ivrognes aliénés. Le XVIIIe siècle, qui vit fleurir les libelles contre l’enfer pénitentia­ire – « Si on me donnait le choix entre le dernier supplice et six mois à la Bastille, je dirais sans hésiter : conduisez-moi place de Grève ! » avouait Cagliostro –, écrivit la légende noire de la forteresse. C’est pourtant à cette époque que les conditions de vie s’améliorère­nt, sous la pression de l’opinion. Certes, froidure et mauvais traitement­s administré­s par de vieux garde-chiourmes gâchaient le séjour, mais cette prison royale reflétait la société de l’Ancien Régime. Les geôles allaient du cul-debasse-fosse à la suite meublée. Si on y mettait le prix, on pouvait fort bien se sustenter, recevoir ses visiteurs et nouer des idylles ; l’aristocrat­ie sortait ruinée de la Bastille. Le plus marquant reste le secret qui entourait la captivité du bastillard. Sa famille n’était pas toujours avertie et lui-même ignorait parfois les motifs de son emprisonne­ment.

Le lieu déclina en même temps que le pouvoir royal. Le 14 juillet 1789, on ne trouva que sept malheureux prisonnier­s : des fabricants de fausses lettres de change, un comte accusé de « crime monstrueux » (inceste) et deux ivrognes aliénés. La fureur que l’on mit à les ériger en héros et à massacrer les derniers défenseurs de la forteresse augurait de la fièvre populacièr­e qui allait secouer la Révolution. Dût sa réputation en souffrir, cette prise de la Bastille fut un non-événement truffé de malentendu­s, « publicisé » a posteriori par l’entreprene­ur Palloy. L’homme avait tout compris de l’époque qui s’ouvrait : il mena aussitôt les travaux de destructio­n et commercial­isa des Bastille minatures taillées dans les pierres ainsi que des bijoux fabriqués avec les chaînes. Une star était née

« La Bastille », de Jean-Christian Petitfils (Tallandier, 400 p., 22,90 €).

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Forteresse. La Bastille avant sa destructio­n par Palloy, en 1789-1790.

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