Le Point

La balade de France

- PAR MARIE-FRANÇOISE LECLÈRE

P endant

vingt ans, Sylvain Tesson a couru le monde. Entre Oulan-Bator et Valparaiso, ce géographe de formation a accumulé rencontres, images et paysages bientôt devenus livres à succès (prix Goncourt de la nouvelle en 2009 pour « Une vie à coucher dehors », prix Médicis essai en 2011 pour « Dans les forêts de Sibérie »). Spéléologu­e à Bornéo, ermite sur les bords du lac Baïkal, marcheur de l’Himalaya, capable de refaire l’itinéraire de la Grande Armée en side-car (« Berezina »), d’escalader les façades de Notre-Dame et de tenir chronique au Point, il « vivait en surchauffe », avoue-t-il dans son nouvel ouvrage, « Sur les chemins noirs ».

Et puis, un jour, le sourire des dieux « qui longtemps avaient favorisé la famille » (il est le fils de Philippe Tesson) s’est crispé en grimace : maladies de ses proches, mort de sa mère et, pour lui, le stégophile, le grimpeur de toits, la chute. Il avait « bu comme un ours » et faisait le pitre. Il se retrouve en miettes 8 mètres plus bas, côtes, vertèbres, crâne brisés. Coma, médecine de pointe qui l’émerveille, longs mois d’hôpital et, enfin, la sortie. « Clouté de vis et le visage difforme », il aborde la rééducatio­n – selon lui, un mot d’ « agent du Politburo ». Il préfère celui d’ « évasion ». Et quoi de mieux pour cela que la marche en solitaire ?

Pendant ses « nuits de pitié », il s’est juré de traverser la France à pied, de se soustraire à une époque qu’il abomine, afin de pouvoir, en toute liberté, « régler ses comptes avec la chance » et de « convoquer le souvenir de sa mère ». Le territoire est défini. Quant aux cartes, celles de l’IGN le grisent. Au 25 000e, elles représente­nt « le réseau d’un pays ancienneme­nt paysan », les pistes à ornières, les sentes secrètes, les passages mystérieux, les voies ombreuses et les vestiges du passé par lesquels se faufile le rêve. En reliant ces « chemins noirs » (d’après le titre du premier roman de René Frégni), du Mercantour au Cotentin, de l’impérieux soleil de la Provence à l’élégance des ciels normands, il est certain, quels que soient les obstacles, de se reconstrui­re. Il suffit de s’en tenir au principe d’Alexandre Vialatte : « L’escargot ne recule jamais. »

Et il ne va jamais reculer, faisant de cette « balade de France » une ode traversée d’éclairs de colère contre les folies destructri­ces du temps. Un délice déjà salué par des dizaines de milliers de lecteurs « Sur les chemins noirs », de Sylvain Tesson (Gallimard, 144 p., 15 €).

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Sylvain Tesson

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