Vit-on la fin de l’Occident ?
Face à la montée, partout dans le monde, du populisme et de l’ultranationalisme, le philosophe avertit : il y a un risque de désintégration de nos démocraties.
Après la chute du mur de Berlin, en 1989, le politologue Francis Fukuyama avait annoncé la fin de l’Histoire ainsi que la victoire de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Toutefois, ces dernières années, des voix toujours plus nombreuses s’élèvent pour clamer que c’est le contraire qui se produit et que l’Occident est en déclin. En France, Michel Houellebecq, dont les romans décrivent le monde occidental sous les traits d’une culture déliquescente, décadente et dégoûtante, totalement dépourvue de profondeur et de vitalité, a prononcé la mort de la culture. De nombreux observateurs, à mauvais escient à mon avis, rejettent Michel Houellebecq, qu’ils considèrent comme un provocateur à ne pas prendre au sérieux. Or ce scepticisme sur la résilience et la vitalité de l’Occident est également relayé par des auteurs dont personne ne mettrait en doute le sérieux.
Francis Fukuyama lui-même se dit profondément inquiet du déclin des institutions occidentales, au premier titre desquelles figure le système politique, qui se révèle de moins en moins capable de traiter les grands problèmes de société tels que l’inégalité économique, la pollution et le déclin du discours politique. Un autre chercheur en sciences politiques, Benjamin Barber, avait déjà décrié, plusieurs années avant l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, l’infantilisation de la politique et de la société américaine. Pour sa part, Pascal Bruckner n’a eu de cesse de dénoncer l’incapacité de l’Occident à défendre ses valeurs, tandis que Timothy Garton Ash, l’un des penseurs les plus brillants du Royaume-Uni, est tellement sidéré par le résultat du référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe qu’il commence à s’interroger sur la viabilité des institutions politiques occidentales.
Le vilain petit canard de l’islamisation de l’Europe Je pourrais poursuivre cette énumération sans fin, la décliner dans toutes les langues de l’Occident, mais je préfère proposer un diagnostic sur le facteur central à l’origine de ces lamentations sur le déclin de l’Occident. Pour commencer, je souhaite écarter ce vilain petit canard qu’est le populisme de droite. Les gens du même acabit que les Marine Le Pen, Geert Wilders, Viktor Orban ou Frauke Petry utilisent la vague du terrorisme islamiste, du 11 Septembre au Bataclan, pour brandir le spectre d’une islamisation de l’Europe, argument qui cristallise de plus en plus le discours politique et public. Sachant que, d’après les projections, le pourcentage de musulmans vivant dans l’Union européenne devrait culminer à environ 8 % vers 2035, l’idée que l’islam est en train de conquérir l’Europe n’est, au mieux, qu’un fantasme paranoïaque, quand bien même on accepte l’idée que l’intégration des musulmans en Europe, en France en particulier, est souvent loin d’être une réussite, sans nier non plus que l’islamisme radical et le terrorisme qui l’accompagne créent de graves problèmes à l’Occident. Mais rien de tout cela ne représente une menace existentielle pour le monde occidental
L’idée que l’islam est en train de conquérir l’Europe n’est qu’un fantasme paranoïaque, même si on admet que l’intégration des musulmans, en France en particulier, est loin d’être une réussite.