Du côté de chez Fred
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ne regrette-t-il pas, ce grand flagellant ? A quelle flèche en provenance de son passé n’offre-t-il pas sa poitrine, ses flancs, son coeur ? En vérité, Frédéric Mitterrand – prénom flaubertien mais patronyme de conquérant… – s’est fait un devoir de rôder dans chaque recoin de sa mémoire afin d’y exhumer des geysers de mélancolie… Du coup, cet ancien jeune homme déjà ex-ministre a pris l’habitude de ne pas s’épargner. Et il se fustige avec tant de zèle qu’on ne saurait douter du plaisir qu’il y prend. Veuf de l’idéal, il a ainsi pris le parti d’écrire comme il lécherait ses plaies.
Du côté de chez Fred il y a donc, dans ce nouveau livre, des gigolos, des grands bourgeois, des petites gens, des héritières fugueuses, des drogués, des ouvreuses de cinéma, des paumés de tous calibres. On y patrouille entre bouges et dîners en ville. Entre tragédie et dérision. Impossible, avec cet écrivain, cousin impudique d’un Modiano pastellisé par Pierre Le-Tan, de conjurer l’émotion qu’il convoque en virtuose.
Au départ, une anaphore lancinante qui donne le tempo de ce très beau confiteor : « Je regrette… Je regrette… Je regrette… » Et chaque regret – bientôt ennobli en remords – devient le prétexte d’un récit, d’un portrait, d’un appel de fiction. Les scènes se déroulent à Paris, à Hammamet, au Palace, en Russie, au Festival de Cannes… Avec Dalida, Spirou, le colonel Kadhafi, Jean-Claude Pascal ou des tapins d’occasion ; avec maman et les maris de maman ; avec des amants adorés et perdus par ce spécialiste des amours malades. Chaque fois, Frédéric raconte, creuse, gémit, exhibe. On le plaint. On l’admire aussi, car il n’est pas facile d’être courageux à sa manière…
On aimerait pourtant dire à l’auteur de ces « Confessions » – Frédéric adore la Tunisie qui vit naître saint Augustin… – qu’il n’est pas, au fond, plus mauvais ni plus ingrat qu’un autre. Qu’il devrait savoir que la vie de chacun se trame de rendez-vous manqués. Que les regrets, souvent, sont charmants – tandis que le remords est toujours (comme le suggère Spinoza) « une seconde faute ». Mais cet écrivain de race a-t-il envie de s’absoudre ? De guérir de son mal d’aimer ? Pas sûr. Il sait que la culpabilité, pour ceux de sa trempe, est le plus fiable des encriers. Et qu’il en jaillit parfois, comme ici, des pages toutes vibrantes d’une magnifique lumière noire
« Mes regrets sont des remords », de Frédéric Mitterrand (Robert Laffont, 340 p., 20 €).