Le Point

Joséphine s’en va-t-en guerre

Au 2e Bureau ou au service de la France libre, la danseuse mène une drôle de revue.

-

Qu’elle franchisse la frontière espagnole, séjourne au Portugal, parte en tournée en Amérique latine ou au Maroc, Joséphine Baker éblouit tous ceux qui l’accueillen­t et qu’elle honore d’un sourire étincelant. Qui prêterait attention au petit homme moustachu, binoclard, insignifia­nt qui porte ses bagages et lui tient lieu de secrétaire ? Diplomates et douaniers n’ont d’yeux que pour la star, qui leur soumet en même temps son passeport et celui de son factotum : les deux sont tamponnés d’un même mouvement, sans qu’on se préoccupe de ce Jacques-François Hébert dont l’état civil même semble d’une banalité affligeant­e, à côté de la danseuse venue du Missouri pour s’imposer comme reine du music-hall.

Or Hébert ne s’appelle pas Hébert, mais Maurice Abtey : capitaine dans l’armée française, c’est un officier de renseignem­ent madré, qui, dès 1939, a recruté Joséphine pour le compte du 2e Bureau. « C’est la France qui m’a faite ce que je suis, je lui garderai une reconnaiss­ance éternelle, lui confie alors la danseuse. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens ? Ils m’ont tout donné, en particulie­r leur coeur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. » Quand elle ne se produit pas au front pour galvaniser le moral des troupes pendant la « drôle de guerre », Joséphine enjôle attachés militaires et ambassadeu­rs pour les faire parler.

En juin 1940, tout s’effondre et elle se replie en Dordogne, dans son château des Milandes. Abtey est du voyage et tous deux cherchent à gagner Londres. Or le service de renseignem­ent français clandestin, qui se reconstitu­e sous la couverture des « Travaux ruraux », a une meilleure idée : utiliser l’entregent de la vedette pour transmettr­e des informatio­ns à l’occasion de tournées dans les pays neutres. C’est ainsi qu’Abtey, à Lisbonne, transmet à un contact de l’Intelligen­ce Service la photo des péniches de débarqueme­nt que les Allemands ont conçues pour envahir l’Angleterre. A partir de 1941, Joséphine reste au Maroc, où elle passe des mois à l’hôpital, victime d’une fausse couche suivie d’une grave infection. Abtey, devenu son garde-malade, continue d’assurer la liaison entre les Travaux ruraux du maréchal Pétain, le BCRA du Général et les services de renseignem­ent alliés.

En 1943, guérie, Joséphine Baker signe un « engagement définitif pour la durée de la guerre » au sein de l’armée de l’air de la France libre. L’agente clandestin­e est promue élève stagiaire rédactrice de 1re classe, mais aussi officier de propagande : de Tunis à Damas, en passant par Le Caire, Beyrouth, Tel-Aviv-Jaffa, elle exerce son influence au service du général de Gaulle. Celui-ci la félicite personnell­ement quand, en 1946, elle reçoit la médaille de la Résistance : « Chère

 ??  ?? Double jeu En 1940, pour mieux dissimuler ses activités, Joséphine Baker (à dr.), titulaire d’un brevet de pilote, rejoint les infirmière­s pilotes secouriste­s de l’air.
Double jeu En 1940, pour mieux dissimuler ses activités, Joséphine Baker (à dr.), titulaire d’un brevet de pilote, rejoint les infirmière­s pilotes secouriste­s de l’air.

Newspapers in French

Newspapers from France