La folle course aux points des professeurs
L’affectation des enseignants dépend d’un barème déconnecté de leur mérite.
Petit dialogue ordinaire entre professeurs sur un forum Internet spécialisé. « Bonjour, j’ai une question bête et méchante : en tant que future prof de français certifiée, je me demande comment gagner des points de mutation après mon stage, car je voudrais éviter d’être mutée à Créteil. Y a-t-il des moyens de gagner des points en dehors du pacs et des enfants ? – Coupe-toi un bras. – Je crois que je préfère encore me marier…
– Casse-toi la colonne vertébrale avec un marteau !
– Il faut reconnaître le plus d’enfants possible à la maternité.
– Le banco, c’est le rapprochement de conjoints. »
Dans une vie d’enseignant, il y a les élèves, les cours à préparer, les copies à corriger, les conseils de classe et… l’élaboration de fines stratégies pour gagner puis utiliser au mieux les « points de mutation ». Ces points, qui ne concernent que les affectations, permettent de choisir son académie et/ou les établissements eux-mêmes. Si chaque certifié ou agrégé part avec un petit capital, un enseignant les amasse en fonction de son ancienneté, mais surtout en se pacsant ou se mariant, en étant séparé durablement de la résidence de son conjoint, en donnant naissance à des enfants, en étant reconnu handicapé…
Dans cette course aux points, il n’est jamais question du travail effectif du professeur, de sa compétence, de son engagement dans l’établissement ou de la réussite Nombre de points nécessaires selon les académies à un professeur d’histoire-géographie pour demander une mutation (2016).
d’un projet. Bon prof, mauvais prof, qu’importe… Pour les syndicats des enseignants (SNES, FSU…), ce système est à conserver. « S’affranchir du barème, c’est laisser le champ libre à l’arbitraire, créer des passe-droits, ôter ainsi à d’autres collègues toute possibilité de muter. Il faut éviter que les mutations soient subordonnées à des critères subjectifs, variables, non transparents : avis d’un chef d’établissement, “mérite”, docilité… » , écrit le SNES dans son bulletin Intra 2016. Du fait de la nature des critères, on parfois voit apparaître des stratégies cocasses. Il arrive que des professeurs se pacsent avec un(e) ami(e) qui travaille dans la région où ils souhaitent être mutés juste pour gagner des points. Parfois même en échange de quelques centaines d’euros… Si les syndicats ne demandent nullement de réformer ce système, c’est aussi qu’il représente pour eux un joli fonds de commerce.
Un jeune professeur est incapable de se débrouiller seul dans ce maquis des points. Pour avoir le plus de chances possible de retourner dans sa région natale ou éviter la banlieue parisienne, il a donc tout intérêt à s’acquitter de sa cotisation. Il bénéficiera ainsi des conseils avisés des experts de la centrale… Chaque mutation vaut une certaine somme de points. Le montant minimal pour rejoindre telle ou telle académie s’appelle la « barre ». A Paris, à Montpellier ou en Bretagne, c’est plus cher que dans la Creuse ou dans le Cantal. « Ce qui rend dingue, c’est la déconnexion totale entre le contenu de ton expérience et le déroulement de ta carrière, assure un professeur de français quadragénaire. Il n’y a aucune direction des ressources humaines dans l’Education nationale. »
Les procédures d’affectation, purement mathématiques, n’ont rien à voir ni avec le « mérite » ni avec les besoins réels et les souhaits des chefs d’établissement… Un professeur stagiaire dans un établissement difficile qui fait du bon boulot avec les élèves, et qui est apprécié du directeur et de ses collègues n’est en aucun cas favorisé pour être titularisé dans ce collège ou lycée. Un autre professeur venant d’ailleurs mais cumulant plus de points aura le poste. Absurdité ou garde-fou nécessaire contre l’arbitraire ?