Le syndrome Peillon et l’antidote Moix
Vincent Peillon n’est pas un mauvais bougre, il y a pire. Son drame, c’est qu’il se prend pour Vincent Peillon. D’où son air très pénétré, sa vanité himalayesque et cette façon étrange de s’écouter parler, marcher, respirer.
Comme il a la carte du Camp du Bien, M. Peillon n’a pas eu à répondre des propos hallucinants qu’il a tenus le 3 janvier, sur France 2. Ce jour-là, après avoir fustigé « ceux qui veulent utiliser la laïcité », il affirme : « Cela a été fait dans le passé, contre certaines catégories de population. »
Voulant parler des « heures noires de notre Histoire », pont aux ânes de la bien-pensance, il s’emmêle dans les dates : « Cela fait quarante ans », dit-il, au lieu de soixante-dix-sept. Si on comprend bien M. Peillon, le pétainisme et les occupants nazis auraient donc instrumentalisé la laïcité contre les juifs de France. D’où la méfiance qu’elle doit inspirer.
Tel un de ces pleutres démagogues qui peuplent « Soumission », le roman de Michel Houellebecq, M. Peillon déplore ensuite, avec l’autorité de la conviction : « Les juifs, à qui on mettait les étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame d’ailleurs souvent avec les islamistes radicaux. »
Quel est le rapport ? Il ne s’agit pas là d’une bourde, comme il a été dit, mais d’une infamie qui montre l’état de fatigue morale de notre pays : quand tout se vaut, rien ne se vaut. La preuve, mis à part au CRIF (1), cette déclaration obscène n’a pas fait tant de vagues après les « précisions » contorsionnées de M. Peillon, qui, sur Twitter, a fait allusion, pour se dédouaner, à des ascendances juives.
Certes, il n’est pas facile, aujourd’hui, d’être un musulman en France, nous ne dirons pas le contraire. Mais de là à comparer son cas à celui du juif sous l’Occupation, il y a un abîme. M. Peillon n’a pas hésité à le franchir avec ce contentement de soi si particulier que procure la bonne conscience. Si les mots ont un sens, les siens, révélateurs du cynisme et du confusionnisme de notre époque, font froid dans le dos.
Même si, selon toute vraisemblance, ses motivations sont bassement électoralistes, M. Peillon aura réussi à banaliser un peu plus le nazisme en mettant sur le même plan la réelle discrimination dont peuvent souffrir les Arabes qu’il a tôt fait d’appeler musulmans, alors qu’ils ne le sont pas tous, et l’ostracisme dont furent victimes les juifs avant d’être envoyés dans les camps d’extermination.
Piétinons les martyrs, mélangeons tout, les injustices sociales et la rafle du Vél’ d’Hiv’ : les morts ne pouvant pas répondre, pourquoi se gêner ? Imaginons le charivari qu’auraient provoqué des propos de ce genre s’ils avaient été proférés par MM. Fillon, Bayrou, Juppé, Valls, Sarkozy, de Villiers. La bonne presse se serait hâtée de rappeler avec effroi qu’ils faisaient, selon son expression habituelle, « le jeu du Front national ».
La loi de Godwin établie par un plaisantin de la Toile édicte que plus une discussion dure, plus le risque est grand que Hitler ou les nazis soient évoqués dans le débat. En participant au grand concours de souffrances et de surenchère mémorielle qui bat toujours son plein, M. Peillon est devenu l’incarnation pathétique de ce syndrome. Passons, c’est trop déprimant pour commencer l’année d’un bon pied.
M. Peillon n’exprime pas l’état d’esprit général, Dieu merci. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le percutant numéro anniversaire de Charlie Hebdo et le remarquable éditorial de son directeur, Riss, deux ans après l’attentat des frères Kouachi, qui a décimé l’équipe du journal, à commencer par Cabu et Wolinski, génies poétiques et virtuoses du dessin, qui nous manquent tant.
« Terreur », livre étincelant de Yann Moix (2), un écrivain que nous aimons depuis longtemps au Point, constitue un très bon antidote aux égarements peillonistes. L’ouvrage se présente comme un recueil de pensées et de réflexions sur le terrorisme. « Le terroriste, observe-t-il ainsi, veut réussir sa mort pour n’avoir plus jamais à ne pas réussir sa vie. »
A propos de la question sur laquelle M. Peillon s’est honteusement vautré, Yann Moix élève sacrément le niveau : « Les musulmans français sont terrorisés à l’idée que les non-musulmans puissent les prendre pour des terroristes. » Ou bien : « La religion a sans doute à voir avec le terrorisme ; Dieu n’a rien à voir avec le terrorisme. Le terrorisme a sans doute “à voir” avec l’islam ; le terrorisme n’a rien à voir avec Allah. Je ne peux pas dire qu’un cancer n’a rien à voir avec le corps qui l’abrite. »
La morale de tout cela est qu’il vaut mieux faire confiance aux écrivains ou aux humoristes qu’aux petits politiciens pour comprendre le monde où nous vivons
1. Conseil représentatif des institutions juives de France. 2. Grasset.