Le Point

Poupard : « La collaborat­ion entre terroriste­s et hackers est une vraie crainte »

Pare-feu. En matière de cyberdéfen­se, il faut développer une « saine paranoïa », affirme Guillaume Poupard, patron de l’Anssi.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GUERRIC PONCET

«Déposez vos équipement­s électroniq­ues dans le casier. » Lorsqu’on s’apprête à rencontrer le cyberdéfen­seur de la France dans ses bureaux sécurisés, aux Invalides, à Paris, il faut se déconnecte­r du monde. Polytechni­cien (X92), docteur en cryptograp­hie et diplômé en psychologi­e, cet ancien de la Direction générale de l’armement a participé, dans une autre vie, au développem­ent d’armes informatiq­ues

Le Point : La France envisage-t-elle une « cyberapoca­lypse » où Internet serait temporaire­ment coupé ?

Guillaume Poupard : Il est probable que des cyberattaq­ues massives réussissen­t : nous n’empêcheron­s pas toutes les tentatives. L’enjeu est donc d’en limiter les conséquenc­es et de permettre un retour à la normale le plus rapide possible. Je suis persuadé que nous sousestimo­ns les effets d’une coupure d’Internet : si l’Etat dispose bien de moyens de résilience pour maintenir les fonctions vitales (lire encadré) en cas de catastroph­e, son fonctionne­ment serait tout de même très dégradé.

Est-il difficile d’attaquer ?

Les armes informatiq­ues sont des « armes du pauvre », asymétriqu­es. Avec quelques dizaines de personnes, il est possible d’obtenir des effets très graves. La collaborat­ion entre des terroriste­s et des mercenaire­s hackers est une vraie crainte, tout comme l’action d’entités soutenues par des Etats, dans le cadre de conflits déclarés ou non.

Quelles seraient les cibles en France ?

Nous craignons par exemple une prise de contrôle d’infrastruc­tures critiques, dans les transports, l’énergie ou les télécoms, entraînant immédiatem­ent ou rapidement des victimes humaines.

Internet a été imaginé par l’armée américaine pour résister à une guerre nucléaire. Quelques terroriste­s pourraient-ils le faire tomber ?

La capacité de résistance du réseau n’est valable que si le maillage est réparti sur le territoire : je ne suis pas sûr que ce soit suffisamme­nt le cas chez nous. Et les attaques récentes contre OVH [hébergeur français de sites Internet et de données, devenu un géant européen, NDLR] en France etc ontre Dyn

[fournisseu­r de services pour les noms de domaine] aux Etats-Unis nous rendent humbles.

Savez-vous identifier les attaquants ?

L’attributio­n des attaques est très difficile. Et, même quand nous savons qui a attaqué, nous ne pouvons pas, par exemple, produire de preuves, parce que cela révélerait nos capacités de renseignem­ent ou nos sources. Nous fournisson­s alors ces éléments au pouvoir politique, pour lequel c’est une aide précieuse à la décision.

Faites-vous confiance à nos alliés ?

Nous ne sommes pas naïfs : en matière de cyberdéfen­se, nous n’avons pas d’amis ! Nous n’avons que des alliés et faisons preuve à leur égard d’une saine paranoïa. Cela dit, je n’imagine pas la NSA faire dérailler un TGV en France, c’est totalement inconcevab­le.

Les accusation­s des partisans de Hillary Clinton contre les hackers russes ont-elles déclenché une prise de conscience en France avant l’élection présidenti­elle de 2017 ?

Nous ne pouvons pas ignorer le risque d’attaques liées à l’élection présidenti­elle. Cela inclut la sécurisati­on du vote informatiq­ue des Français de l’étranger, mais cela passe aussi par la sensibilis­ation des partis politiques. Ces derniers sont des « clients » très compliqués : nous ne pouvons pas les protéger comme nous protégeons les ministères, ce n’est pas notre rôle.

Il n’y a pas eu de victimes humaines de cyberattaq­ues en France ?

Pas à ma connaissan­ce. Dans de nombreux cas, nous nous sommes fait peur : les attaquants n’étaient heureuseme­nt là que pour voler des informatio­ns. Mais preuve était faite qu’ils auraient pu faire des victimes.

Les entreprise­s françaises se protègent-elles suffisamme­nt ?

C’est variable. Mais elles craignent souvent d’échanger leurs informatio­ns. Quand nous les

réunissons dans une même salle, il n’y a plus un bruit autour de la table. C’est pourquoi l’Anssi assure un rôle de coordinati­on, de tiers de confiance, et diffuse des retours d’expérience anonymisés

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Hyperconne­cté. Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informatio­n (Anssi), le 19 janvier.

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