Le Point

Affaire Fillon : les dieux ont soif !

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Les réseaux sociaux s’en donnent à coeur joie, ces temps-ci. Les twittos lynchent comme ils respirent. Bienvenue dans le monde de Dark Vador, chez les aigris, les haineux en furie. Dommage qu’on ne puisse pas marcher dessus, ça porterait bonheur.

Il paraît que cette meute électroniq­ue incarne la modernité. Mille excuses, mais elle n’a pas le pouvoir qu’elle croit. Sous l’Occupation, ses ancêtres parvenaien­t à leurs fins quand ils envoyaient leurs lettres de dénonciati­on à la Kommandant­ur. Aujourd’hui, son hystérie a tendance à se retourner contre elle : l’élection de sa bête noire, Donald Trump, l’a, hélas, confirmé.

Nous voilà sommés de condamner sans autre forme de procès François Fillon, qui, de toute évidence, a fauté, comme nous l’avons écrit la semaine dernière. Les bois de justice sont déjà dressés, il est urgent de raccourcir le prévenu. Depuis peu, il règne sur la France un climat qui rappelle, à certains égards, celui de la Terreur de 1793. Sauf que la guillotine est devenue métaphoriq­ue.

Les médias, ces nouveaux dieux, ont soif. Lundi, pendant sa conférence de presse, même s’il a cédé au complotism­e, Fillon a marqué plusieurs points. Notamment quand il a présenté ses « excuses » aux Français. Ou quand il a dit aux journalist­es, droit dans les yeux : « Vous m’avez lynché. » Mais le candidat reste dans une position quasi « intenable » : quelque chose s’est cassé entre l’opinion et lui ; il n’a guère que deux ou trois semaines pour le rapetasser.

En attendant que justice passe, la sagesse, cette vertu surannée, nous impose, question de dignité, de fuir tous ces tribunaux populaires qui poussent partout, notamment sur les zincs des bistrots. Mais, avant l’inévitable boomerang à venir contre la presse, la même sagesse nous commande aussi de défendre bec et ongles le travail exemplaire du Canard enchaîné, qui incarne depuis longtemps l’honneur de notre métier.

Puissions-nous ne pas passer toute la campagne là-dessus et parler du fond. Le feuilleton est certes haletant : on croyait avoir tout vu, mais jamais une élection présidenti­elle n’aura connu autant de rebondisse­ments que celle-ci. Une tuerie. Au train où vont les choses, on peut imaginer qu’il ne restera bientôt plus qu’une personne à l’arrivée : Marine Le Pen, élue par défaut, faute de combattant­s.

Non, c’est une blague. Il n’empêche que, pour la première fois, le FN ne fera pas de la figuration à un scrutin présidenti­el. Même si Marine Le Pen ne part pas favorite, loin de là, elle est en droit de penser que cette élection est jouable. Il suffira, sait-on jamais, que les planètes s’alignent in extremis. Observez comme elle ouvre déjà grands les bras, promettant de nommer un Premier ministre qui ne sera pas frontiste.

Si Donald Trump a été élu, pourquoi pas elle ? L’exemple américain devrait nous instruire : il y a dans le protection­nisme, cette idée folle, une dynamique forte que la candidate sait insuffler quand elle dénonce un monde où « on fait fabriquer par des esclaves pour vendre à des chômeurs ».

Notre modèle est épuisé : même si les sondages nous assurent que les Français recouvrent peu à peu le moral après des décennies de pessimisme noir, le pays est à cran et ressemble de plus en plus à ces vieilles personnes qui se lèvent chafouines et se couchent furax. Gageons que nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles mauvaises surprises.

Il y a pourtant des lumières qui fulgurent dans le sombre brouillis où nos clapotons. Jusqu’à présent, pendant la « convalesce­nce » de Fillon, les dossiers économique­s comme la dette et les dépenses publiques ont été zappés et c’est dommage. En revanche, deux questions sont en train de prendre le dessus : l’Europe et la République.

La campagne aura au moins montré que l’Europe n’est pas une idée morte. Certes, l’Union ressemble de plus en plus aux villages Potemkine, ces cités de carton-pâte érigées pour masquer la pauvreté lors d’une visite de l’impératric­e Catherine II en Crimée. Mais le rêve reste toujours aussi neuf et continue de galvaniser les foules, comme on peut le vérifier dans chaque meeting d’Emmanuel Macron. Face à la montée des dangers, les attentats de l’Etat islamique, l’isolationn­isme foutraque de Trump et l’impérialis­me tranquille de Poutine, elle apparaît désormais comme une solution, non comme un problème.

La République aussi tient bon, qui a survécu à la défaite de Manuel Valls à la primaire de la gauche. Grâce à Jean-Luc Mélenchon, notamment, qui reste avec les communiste­s l’un des derniers défenseurs résolus de la laïcité à la française. S’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là. Le voile de l’oubli étant tombé depuis longtemps sur Aristide Briand, rapporteur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, on dira que ce combat est vieux, très vieux. Mais ça vaut toujours mieux que d’être mort…

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